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— Ces cris dont vous parlez ! gémit-elle. Je ne pourrai plus songer à lui sans les entendre.

Il sourit avec méchanceté :

— Un mourant qui crie et perd ses entrailles, on ne peut pas, en effet, lui faire place dans toutes les rêveries. Si je me suis trompé en vous parlant de la sorte, excusez-moi.

— Non, murmure-t-elle, vous aviez raison. Si vous m’aidez, j’aurai du courage… Adieu, je prends par ici. Non, ne dites plus rien…


Il regrette de l’avoir laissée partir dans un trouble qui peut être mauvais conseiller, mais il répugne à la rejoindre dans une rue trop passante. Soudain la voix de Mme Heuland le fait sursauter :

— On ne va pas plus loin !

Aussitôt il sent le ridicule de son imagination : c’est Antoine qui l’appelle, suçant un bâton de sucre d’orge, à califourchon sur le mur bas qui sépare la chaussée de la plage. Sans comprendre comment, sous le timbre cristallin, il a pu percevoir l’autre voix, Vernois enjambe le mur et fait face au petit garçon :

— Alors tu m’as attendu longtemps ?

— Pendant treize sucres d’orge. Car j’avais le droit d’en sucer jusqu’à votre arrivée ; mais défense de croquer.

— Et pas une fois, pour aller plus vite, tu n’as donné le moindre coup de dent.

— Oh si, j’en ai bien croqué six ou sept, parce que c’est meilleur. Mais c’était tout de même des bâtons sucés, vu qu’après je laissais passer un grand moment sans en reprendre. Ça n’était pas tricher. Je suis même sûr que j’y perdais.

Vernois se plaît à retrouver, sous le rose et le blond du père, ce jeu de scrupules qui vient de Mme Heuland.