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d’une simple panique. Il faut soi-même avoir été roulé dans une de ces avalanches, pour savoir avec quel désespoir l’esprit se débat, tandis que le corps obéit à l’esprit des autres.

Rétractée par l’attente de nouveaux coups, encore une fois Mlle  Gassin presse en vain le pas. Mais voyant que Vernois ne dit plus rien, elle reprend de la hardiesse :

— Comment n’avez-vous pas honte de charger ainsi la mémoire de votre ami ?

— S’il a connu la souffrance de mourir inutilement, pourquoi ne le mettrais-je pas à son acquis ? Est-ce qu’il était responsable de cette poussée qui lui a coûté la vie en le ramenant dans une zone découverte ? S’il était resté seul dans la seconde tranchée (ce que certains lui reprochent de n’avoir pas fait, mais qui eût été fou) ne croyez-vous pas qu’il aurait été quitte à bien meilleur compte soit prisonnier, soit fusillé sur place ? C’est pour que vous lui rendiez justice que je parle comme je fais. Il est dur de mourir ainsi.

Mlle  Gassin est à bout de forces :

— Si vous pensez vraiment ce que vous dites, pourquoi suis-je la seule qui doive porter ce terrible secret ? Donnez-en leur part aux autres.

— Vous n’avez donc pas le courage…

— Le général est en droit de tout apprendre !

— Et il sait tout ; mais il paierait beaucoup pour pouvoir en oublier une partie.

Mlle  Gassin saisit la manche de Vernois :

— Mais Mme  Heuland, elle au moins…

— Laissez-la tranquille, répond-il durement.

Puis, se radoucissant, il cherche à être habile :

— Je m’imaginais que vous mettriez votre fierté à rester la seule femme qui sache la vérité entière. Puisque vous avez le mépris des phrases, montrez cette forme de courage qui se passe de rien embellir.