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Mais précisément Strachey excelle dans le travail inverse : ceux qui, vivants, furent les di majores de leur époque et que la postérité a ramenés à leur rang de minores, l’art de Strachey les tire de cet « oubli » qui menaçait en effet « de les enveloppera jamais » et leur fait contracter un nouveau bail avec l’existence ^. Libre d’un dogme paralysant entre tous, Strachey ne croit jamais à la simplicité des médiocres. Toujours les éléments sont multiples, mêlés, et laquestion pour Strachey reste toujours une question de dosage. Qu’il s’agisse de la galerie des portraits du personnage central : la reine Victoria elle-même — qui nous livre vraiment les différents âges d’une existence humaine, — du Prince Consort (la révélation la plus surprenante peut-être du volume : le personnage réel, d’une complexité si attachante, avait été à la lettre enterré sous les panégyriques officiels), de Lord Melbourne, de lord Palmerston, de combien d’autres, — il semble qu’avec je ne sais quelle cour- toisie narquoise chez l’artiste, la fraîcheur des peintures ait voulu devoir quelque chose à la jeunesse abolie des modèles :

Malgré l’étiquette de la cour et l’ennui qu’on y respirait, les relations de Lord Melbourne avec la Reine avaient fini par devenir pour celui-ci l’intérêt dominant de son existence ; se voir sevré de ces relations lui eût déchiré le cœur ; d’une manière ou d’une autre l’éventualité redoutable avait été conjurée ; il se retrouvait en place, triomphant : sans rien en laisser perdre, il savoura les heures passagères. Et c’est ainsi qu’enveloppée de la faveur d’une souveraine et réchauffée par l’adoration d’une jeune fille, cette rose automnale, en cet automne de 1839, connut une surprenante floraison. Pour la dernière lois, merveilleusement, les pétales s’épanouirent. Pour la dernière fois, en ces relations imprévues, incongrues, presque incroyables, le vieil épicurien goûta l’exquis du romanesque. Observer, instruire, réfréner, encourager la jeune créature royale à ses côtés, c’était déjà beaucoup ; davantage cependant de sentir, à travers cette constante intimité, le contact de son aflfection ardente, le rayonnement de sa vitalité ; plus que tout

I. Je pense ici à Queen Victoria plus qu’aux Eminent Victorians où l’on trouverait par contre la trace d’une tendance opposée : celle d’exécuter un peu rapidement des personnages d’une valeur authentique. Sur ce point je ne puis que renvoyer à l’article de Gosse, mais je tiens à m’associer à ce que dit Gosse au sujet de Arthur Hugh Clough. Dans la présentation de Clough, où rien ne contrebalance l’aspect mis en lumière, entre certainement une pointe d’iniquité.