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LA GARDE-MALADE ^Oj

coups : l'un employé de chemin de (er et l'autre voiturier. Ils traitaient leur père et leur belle-mère avec une cordialité brutale. La plus jeune des filles, mariée à un mécanicien normand, apportait à Pâques des choses de la mer. Son Etiennette, une petite bossue intelligente, méchante, jolie, tourmentait Eugénie jusqu'aux larmes. A la Pentecôte apparaissait l'autre fille, femme d'un épicier dont elle avait été la bonne : elle distribuait des friandises et laissait pour quatre jours deux garçonnets un peu niais. Le premier fils du second lit, un professeur, accourait en septembre, tan- tôt du nord, tantôt du midi, traînant une famille diaboli- que. A Noël enfin, ce Benjamin, qui avait tué sa mère pour naître, et qui végétait dans le plus bas journalisme, muet, triste, humilié par sa pauvreté et par l'élégance men- songère de sa femme.

Ils évitaient de se trouver ensemble : les héritiers de la morte jalousaient par cupidité les héritiers de la vivante ; tandis que les intellectuels, les ouvriers et les commer- çants se méprisaient les uns les autres. Par politesse, par habitude, ils prenaient ainsi des vues de la déchéance de leur père ; puis ils l'oubliaient. D'ailleurs, aucun d'eux n'eût su vraiment l'aider : ils luttaient comme ils pou- vaient contre des patrons, contre des clients, contre des enfants ; et la vie les abîmait un peu plus d'année en année. Le vieux les accueillait en silence : il embrassait ses filles et ses brus, serrait la main de ses fils et de ses gen-* dres, caressait avec des préférences variables les tout-petits. Leur mésintelligence ne l'étonnait pas. Il avait haï sa sœur et ses frères aussi tant qu'ils avaient vécu. Au fond, il était orgueilleux et humilié : orgueilleux d'avoir si loin répandu son sang autour du pauvre village où il était né, d'où il n'était pas sorti ; humilié que, s'acharnant toutes et tous à ces conquêtes extérieures, nul de ses fils, nulle de ses filles n'eût voulu demeurer aver lui pour continuer la race au lieu où elle s'était fiiite.

Le père d'Eugénie, dernier enfluit du second mariage, y

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