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298 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

tribune en serrant toutes les mains, même celles qu'on ne lui tend pas.

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��L'éloquence est un plat qui se mange chaud. Il paraît, excellent ami, que la postérité fait le plus souvent bon marché des produits de l'art oratoire. De quoi les par- leurs n'ont nul souci, car ils ne travaillent pas à crédit. Comme les comédiens, ils reçoivent comptant leur part de gloire. A quoi bon tirer des traites sur l'avenir ? Plutôt ce feu de joie ! Plutôt ce délire ! Toute l'éternité pour cette seule minute ! Ainsi pensent les aventureux et les impa- tients.

L'auteur des Caractères a fort justement écrit : « Le métier de la parole ressemble en une chose à celui de la guerre : il 3'^ a plus de risque qu'ailleurs, mais la fortune y est plus rapide. » Eh quoi ! consumer le meilleur de ses jours dans une solitude laborieuse pour briguer les suf- frages d'une poignée de rêveurs dont la plupart demeurent à naître ! Fi donc ! Mieux vaut jouer tout notre patrimoine d'un seul coup et sur une seule carte. Mieux vaut jouer.

Il y a toujours dans la parole une part de jeu.

Si le jury qui pourvoit les échafauds recevait par écrit plaidoiries et réquisitoires, il se tromperait moins souvent, moins grièvement. Mais il faut jouer.

Si les assemblées qui font la l'oi et votent la guerre se défiaient de la rhétorique et du bavardage, il y aurait plus de sagesse dans la conduite des nations. Mais il faut jouer.

Si les peuples qui cherchent à tâtons leur bonheur renonçaient à l'ivresse des mots, plus redoutable que celle du vin... Mais il faut jouer, vous dis-je ! Il faut jouer.

Joueur celui qui ne sait où le caprice d'une période le peut conduire et qui ne s'en lance pas moins d'un cœur léger dans l'aventure.

Joueur celui qui confie sa raison, comme une nacelle de papier, aux m^ouvements, aux orages de la multitude.

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