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haute culture universelle. Tant pis pour l’Allemagne si elle tient à s’en séparer !

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Nous ne croyons pas que ce soit sa tendance profonde ni que « la conversion vers l’Est » que, d’après Curtius, la jeunesse allemande est en train d’opérer, entraîne une désaffection définitive des valeurs occidentales, et notamment françaises.

Cependant il est un fait très important sur lequel Pierre Mille, toujours à propos de l’article d’André Gide, a fort juste- ment attiré l’attention dans la Dépêche de Toulouse du 17 novembre, et qu’on ne saurait négliger sans simplifier arbi- trairement la question si complexe des rapports intellectuels franco-allemands. Voici ce fait exposé par Pierre Mille lui- même :

C’est, comme le dit M. Curtius, en Russie et en Extrême-Orient, que l’Allemagne va chercher une influence fécondatrice... Mais je me persuade que ce phénomène a une cause plus profonde [que le dépit de la défaite et l’attirance pour le bolchévisme]. Et c’est que, dans son essence, l’Allemand est romantique, ne peut être que romantique, tandis que, malgré des œuvres magnifiques, le romantisme n’a jamais touché les Français que superficiellement, et que nous sommes déjà en pleine réaction contre lui. Il a donné chez nous tout ce qu’il pouvait donner, il s’est épuisé, et maintenant nous cherchons autre chose.

En peinture, en sculpture, à travers les divagations des jeunes écoles, nous recherchons « le style », et nous passons par une période d’intellectualisme qui se traduit par une tendance, pour l’instant excessive, à l’idéographie : l’artiste cherche à faire comprendre, au lieu de faire sentir. En littérature, même intellectualisme ; et la cérébralité rem- place la sensualité. On n’en est encore qu’aux tâtonnements ; on commence seulement de créer le vocabulaire adéquat à ce nouveau genre d’expression littéraire, qui n’est pas classique, est beaucoup plus complexe que l’ancien cartésianisme des dix-septième et dix-huidème siècles, mais se rapproche pourtant davantage du classicisme que du romantisme. Il faut suivre attentivement les essais des nouveaux venus qui essuient les plâtres, comme jadis les Millevoye et les ChênedoUé essuyèrent les plâtres pour les grands romantiques, et disparurent. Et l’on comprend qu’ils se réclament de Baudelaire qui, en ce sens, fut leur précurseur. Avant tout, et que! que soit leur talent parfois exceptionnel, leur principal mérite est de fabriquer l’outil indispensable à la génération future. Mais qu’est-ce que l’Allemagne peut faire de cet outil ? Il ne lui convient pas, et elle s’en rend compte.