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n’en es nullement responsable), de te plonger voluptueusement en conséquence dans l’inertie, en grinçant silencieusement des dents, et de penser que tu ne peux même pas te révolter contre qui que ce soit, car il n’y a personne et il n’y aura jamais personne ; probablement que c’est une farce, une tricherie, que c’est un simple galimatias — on ne sait quoi et on ne sait qui. »

Il se peut que vous soyez déjà fatigué de suivre la pensée de Dostoïevsky et ses efforts désespérés pour renverser les évidences invincibles... Vous ne savez pas s’il parle sérieusement ou s’il se moque de vous. Peut-on, en effet, ne pas s’incliner devant un mur ? Peut-on opposer à la nature qui fait son œuvre sans songer à nous, notre « moi », petit et faible, et qualifier d’absurdes les jugements qui nient cette possibilité ?

Mais Dostoïevsky se permet justement de douter que notre raison ait le droit de juger du possible et de l’impossible. La théorie de la connaissance ne pose pas cette question, car, s’il n’est pas donné à la raison de juger de la possibilité et de l’impossibilité, qui donc pourra alors en juger ? Alors, tout serait possible et tout serait impossible. Et Dostoïevsky, comme s’il se moquait de nous, avoue par dessus le marché qu’il n’a pas les forces nécessaires pour renverser la muraille. Il admet donc une certaine impossibilité, une certaine limite ? Mais alors, nous tombons dans le chaos absolu, pas même dans le chaos, mais dans le néant où disparaît avec les règles, les lois, les idées, la réalité tout entière ! Il semble bien qu’au-delà de certaines limites il faille également éprouver cela. L’homme délivré de l’atroce pouvoir des idées s’engage dans des régions si extraordinaires, si peu connues, qu’il doit lui sembler qu’il a quitté la réalité, et qu’il est entré dans le néant éternel. Dostoïevsky ne fut pas le premier à vivre ce passage infiniment terrible d’une existence à une autre. Quinze cents ans avant lui, Plotin qui avait essayé lui aussi de « survoler » notre expérience, raconte qu’au pre