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qui se sont déjà justifiées ? C’est là ce que Kant appelait « critiquer », « se réveiller du sommeil dogmatique » ! Mais il fallait avant tout poser la question de savoir si les sciences positives s’étaient vraiment justifiées, si elles avaient le droit d’appeler « connaissance » leur savoir ? Ce qu’elles nous apprennent n’est-ce pas illusion et mensonge ? Kant s’est si mal réveillé de son sommeil scientifique qu’il ne se pose même pas cette question. Il est « convaincu » que les sciences positives sont justifiées par le succès, c’est-à-dire par les services qu’elles ont rendus aux hommes. Elles ne peuvent donc pas être jugées, mais ce sont elles qui jugent. Si la métaphysique veut exister, elle doit au préalable demander la sanction et la bénédiction des mathématiques et des sciences naturelles.

Chez Dostoïevsky, au contraire, c’est la métaphysique qui juge les sciences positives. Kant pose la question : la métaphysique est-elle possible ? Si elle est possible, continuons les tentatives de nos prédécesseurs. Si non, renonçons-y, adorons notre limite. L’impossibilité est une limite naturelle ; il y a en elle quelque chose de tranquillisant, de mystique même. Le catholicisme lui-même affirme : Deus impossibilia non jubet.

Dieu n’exige pas l’impossible. Mais c’est ici que se manifeste la seconde vue. L’homme souterrain, ce même homme souterrain qui se proclamait le plus vil de tous les hommes, s’écrie tout à coup d’une voix aigre, sauvage, affreuse (tout est affreux dans l’homme souterrain), d’une voix qui n’est pas la sienne (la voix de l’homme souterrain n’est pas la sienne, de même que ses yeux ne lui appartiennent pas) : « Fausseté, mensonge ! Dieu exige l’impossible ! Dieu n’exige que l’impossible. Vous tous, vous cédez devant le mur ; mais je vous déclare que vos murs, votre « impossible » n’est qu’une excuse, un prétexte et que votre Dieu, ce Dieu qui n’exige ;pas l’impossible, est non Dieu, mais une affreuse idole. »