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DOSTOÏEVSKI 133

Voici donc des personnages qu'il va être particulièrement difficile de caractériser. Que va-t-il parvenir à en dire :

Presque depuis l'adolescence, Gabriel Ardalionovitch avait été tourmenté par le sentiment constant de sa médiocrité, en même temps que par l'envie irrésistible de se convaincre qu'il était un homme supérieur. Plein d'appétits violents, il avait, pour ainsi dire, les nerfs agacés de naissance, et il croyait à la force de ses désirs parce qu'ils étaient impétueux. Sa rage de se distinguer le poussait parfois à risquer le coup de tète le plus inconsidéré, mais toujours au dernier moment notre héros se trouvait trop raisonnable pour s'y résoudre. Cela le tuait '.

et voici pour un des personnages les plus effacés. Il faut ajouter que les autres, les grandes figures de premier plan, il ne les peint pas, pour ainsi dire, mais les laisse se peindre elles-mêmes, tout au cours du livre, en un portrait sans cesse changeant, jamais achevé. Ses principaux personnages restent toujours en formation, toujours mal dégagés de l'ombre. Je remarque en passant combien profondément il diffère par là de Balzac dont le souci principal semble être toujours la parfaite conséquence du personnage. Celui-ci dessine comme David ; celui-là peint comme Rembrandt, et ses peintures sont d'un art si puissant et souvent si par- fait que, n'y aurait-il pas derrière elles, autour d'elles, de telles profondeurs de pensée, je crois bien que Dostoïevski resterait encore le plus grand de tous les romanciers.

ANDRÉ GIDE

I Lldiot, II, pp. 193-194.

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