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100 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

celui du langage. Et M. Valéry de pousser son apologie du vers régulier ; j'oserai dire qu'il la pousse trop loin et dans une direction quelque peu hasardeuse. Cette loi « assez insen- sée, toujours dure, parfois atroce », est-il vrai qu'elle soit arbi- traire à ce point ? Ou plutôt la prosodie de Malherbe n'est-elle pas l'aboutissement logique d'une longue évolution conforme au génie de la langue ? Voit-on que cette évolution ait été marquée seulement par l'établissement de contraintes nou- velles ? Tout au contraire. Le langage poétique, au début du xvir siècle, est infiniment plus libre, moins gêné dans des tourments artificiels que deux siècles auparavant. A la vérité, les règles de la prosodie classique sont les vraies lois naturelles de notre langue poétique, non pas sorties du cerveau d'un législateur (Boileau lui-même n'a fait que rédiger le code du meilleur usage poétique en son temps), mais découvertes progressivement et adaptées aux changements de la langue vulgaire. Leur fixité n'est qu'apparente et leurs exigences mêmes n'ont rien d'inhumain. M. Paul Valéry n'est pas de cet avis : « Les exigences d'une stricte prosodie, écrit-il, sont l'artifice qui confère au langage naturel les qualités d'une matière résistante, étrangère à notre âme, et comme sourde à nos désirs. Si elles n'étaient pas à demi-insensées, et qu'elles n'excitassent pas notre révolte, elles seraient radicalement absur- des. »

Pourquoi donc ? Encore une fois, et M. Valér\' lui-même le note ailleurs, elles n'excitent que la révolte de l'orgueil, alors qu'au contraire la raison et la sensibilité d'un vrai poète s'en accommodent fort bien. Au xv^ siècle, les rhétoriqueurs imagi- nèrent des obligations factices qui dans leur infinie complication. constituaient en effet la plus conventionnelle des disciplines, celle-là même qui, beaucoup plus justement que la prosodie traditionnelle, mériterait d'être comparée par M. Valéry aux règles du jeu d'échecs. Encore faudrait-il démontrer que les dites règles ne sont pas le fruit d'améliorations successives- apportées à un jeu plus rudimentaire, comme on a vu de nos jours le bridge dériver du whist, puis le bridge primitif engen- drer le bridge aux enchères, puis le bridge « opposition », par le bridge u au plafond », en attendant quelque complication nouvelle toujours possible, puisqu'il s'agit bien, en l'espèce, de

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