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92 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

deux autres, j'aurais plus de confiance dans le second que dans le premier. Certes la poésie sortie du groupe unanimiste est des plus honorables. M. Chennevière a une vraie nature de poète et nous a donné un des meilleurs livres de vers nés de la Sfuerre. Les lettrés ont raison de tenir en grande estime le Livre d'Amour de M. Vildrac. Compagnons de M. Duhamel plaît mieux par son rythme d'ensemble que par son détail, tandis que dans son dernier recueil il y a au moins une pièce, d'émotion sobre et poignante, qui deviendra probablement classique (le titre m'en échappe, mais les lecteurs savent bien celle que je veux dire). Quant à M. Romains il me semble que, malgré de nom- breux recueils, sa poésie reste à peu près tout entière dans ce livre dense, débordant et lourd de la Vie Unanime. Ses essais dramatiques sont originaux et Cromedeyre est au moins char- penté par une idée poétique singulièrement puissante. Mais l'instrument verbal qui sert à M. Romains ne s'élève guère, en général, au-dessus de la prose, et c'est certainement dans la prose, dans le roman, que son art a atteint jusqu'ici son expres- sion la plus directe et atteindra plus tard ses formes les plus élevées. Bien que Cromedeyre ne soit pas son chef-d'œuvre, c'est peut-être lui qui, avec les Copains, fournirait sur le tempé- rament artistique de M. Romains la perspective la plus juste. Dans notre littérature féminisée, son unanimisme apparaît comme une nature puissamment et exclusivement mâle, où se mêlent la force dionysiaque et le priapisme rabelaisien. Les éléments de tendresse, de délicatesse ne sont pas donnés dans son être, il faut qu'il descende les ravir dans la plaine, et ils paraissent toujours en lui un peu étrangers et artificiels.

ALBERT THIBAUDET

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