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75^ LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

qui s'adjoint et déchaîne en sa faveur l'instinct de conservation, d'autant plus ardent à lutter que Jean sait, à n'en pouvoir dou- ter, qu'une vie comme la sienne mérite d'être défendue. Et les deux enjeux sont de valeur si inégale (car fussé-je un peu Occi- tan, j'attendrais plus de l'influence d'un Rigaud vivant et agis- sant que d'un Rigaud tué dans sa fleur, sans que personne, sans doute, ne songe à dégager la leçon de s? mort), et cependant les motifs d'espérer et de craindre se balancent si également, qu'une double fièvre me saisit, de vouloir passionnément qu'il renonce à périr, et de douter si son esprit l'emportera sur le fol élan de son cœur.

Créer, entretenir jusqu'au bout cette angoisse, voilà déjà la marque d'un talent peu commun. Un débat dramatique n'est pas un simple dénouement ; c'est le terme, la conclusion, et en quelque façon l'objet d'un livre fondé, charpenté, et dressé tout entier pour que cette âme jaillisse. Autrement il ressemblerait à ces flèches de Viollet-le-Duc, qui ne sont point le chef de l'église gothique qu'elles couronnent, mais une manière de couvre-chef, qui les surmonte par artifice, et qu'il faudrait changer à chaque saison, pour suivre la mode. Notre émotion exige, pour se manifester, l'art de la présentation, et la science de la préparation logique, de façon que la crise finale soit, sinon prévue, du moins acceptée d'emblée. Ici, nous sommes satisfaits. Parvenir, sans cflfets de style, sans emphase, sans que nul élément étranger s'y ajoute, et simplement par des mots ordinaires, par une analyse étonnamment subtile et exactement déroulée, par la vérité, pour tout dire, mais une vérité saisie par un esprit qui n'en laisse rien échapper, et cependant sait y choisir précisément et n'en garder que l'essentiel, à créer une émotion que rien n'étonne, ni n'af- flige, ni ne détourne, en dehors de la question posée, c'est une réussite assez remarquable. Mais le plus difficile était sans doute ailleurs, je veux dire de nous conduire à admettre qu'un enfant de treize ans puisse vouloir se donner la mort pour la défense d'une idée qu'il a conçue, sans nous paraître, ou bien une sorte de monomane qui relève plutôt de la médecine mentale que de l'art du roman, ou bien, tout simplement, un type exagéré, qui cesse d'intéresser, dans la mesure où il cesse de sembler véridi- que. Mais M. Crémieux a su peindre une âme singulière, supé- rieure, et pourtant enfantine, qui nous surprend, parce qu'elle

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