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754 LA NOUVELLE REVUE FRANÇALSE

endosse la défroque souillée du Divin Marquis, n'ait eu sur Pierre Mac Orlan une fâcheuse emprise, ou que nous ne retour- nions en arrière, vers les charniers du Rire Jaune.

Un voyageur digne de foi raconte qu'étant allé rendre visite à Pierre Mac Orlan dans un village de la côte bretonne, il lui fut répondu qu'il le trouverait sur la grève déserte, où il avait cou- tume de sonner du cor. Le voyageur s'y rendit et ne tarda pas à découvrir son ami. Celui-ci, face au rocher, sonnait bien du cor comme il avait été dit, mais il jouait en même temps de l'accor- déon.. . Démente qui voudra le voyageur ; quant à moi, qui viens de lire la Cavalière, j'affirme à mon tour que son auteur y joue simultanément du cor et de l'accordéon, et qu'il affecte parfois <Je tourner le dos au sujet. Pour le cor et l'accordéon, c'est un procédé que le virtuose croit propice à créer le vwlaise, à nous baigner dans cette atmosphère de cirque ou de champ de foire, où les dissonances, les oppositions forcées, les brusques alter- natives d'ombre et de lumière, de silence et de tintamarre, sont une incantation en faveur du Démon de la Perversité. C'est aussi un renouvellement du style satirique, que l'on concevait jadis comme une bigarrure de lyrisme et de vulgarité.

Pierre Mac Orlan n'aurait-il pas laissé l'accordéon dominer trop souvent le cor ?... Mais, sans m'attarder aux méfaits de l'accordéon, je dois dire que cet étrange concert produit quel- ques effets surprenants, coume le récit du matelot Gardelli, et surtout la description des fêtes organisées par Dorojkine pour impressionner favorablement le peuple de Paris. Ce chapitre relevé de la grande satire sociale, où l'on souhaiterait que l'au- teur se maintînt si les dernières pages ne rappelaient une autre face de son talent, celle qui raiyonna poétiquement sur l'Etoile Matutine. C'est quand la Cavalière morte reprend son apparence formelle et vogue dans le domaine des Ombres. Là, chatoient discrètement les dons les plus délicats de la sensibilité et de l'invention ; et, comme l'auteur y traite un sujet qui correspond à une évolution littéraire en secret préférée, il le garde des taches, il le soigne, il prend son temps, il l'aide, dirait-on, à déplisser ses ailes : toutes choses dont il n'a pas toujours assez cure.

J'aimerais interpréter comme un gracieux présage l'envol de cette âme quittant son enveloppe sanglante et corrompue pour

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