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NOTES 73 >

hommes acceptent de mourir aussi bien pour n'importe quoi ; et le motif que la pensée avoue ne devient pas un mensonge dès que la grandeur de l'effort exige l'appui d'autres motifs. Contre le rigorisme kantien, la parole de Spinoza est bien forte : « il ne se peut pas que l'homme soit sans passions » ; c'est illusion que d'exiger d'un seul genre de sacrifice une pureté qui manque de même à la plupart des dévouements humains. Retenons seulement ceci : concevoir la guerre en réalité, c'est imaginer, pour soi-même et pour les autres, non pas seule- ment un péril volontairement affronté, mais cette détresse extrême où la volonté même sombre et ne retrouve rien de ses anciens motifs. Ce ne sera plus le moment de la délibération à part soi ; il faut donc qu'elle ait lieu d'avance. Alors seulement, ces précautions contre soi-même, cette contrainte future excé- dant tout vouloir, il restera vrai qu'on les a voulues, ainsi qu'une femme peut avoir voulu l'enfant qu'elle maudit à l'ins- tant de ses couches et son propre danger de mort :

La guerre dépasse toujours les prévisions et le possible. Au mo- ment où les forces humaines sont à bout, il faut marcher encore ; au moment où la position n'est plus tenable, il faut tenir encore. L'art militaire s'exerce au delà de ce qu'un homme peut vouloir. Dans un homme écrasé par des forces inexorables, il y a encore de puissantes convulsions après le dernier éclair de volonté. La guerre s'achève par de telles convulsions, liées, coordonnées, armées ; ce dernier sursaut de l'animal collectif donne la victoire. Jusque-là, la guerre est un jeu brillant, et non sans risques. Mais, comme on sait, le plus brillant cou- rage s'accommode avec la fuite ou la capitulation, dès que la partie est jugée perdue. Or c'est ici que l'art militaire produit ses derniers effets, à la stupeur du guerrier libre, qui est régulièrement battu.

Nul n'ira se battre pour être battu ; guerre et contrainte vont donc ensem.ble. Tel est le mal au sujet duquel on se demande si les hommes sont vraiment réduits à l'accepter pour empêcher un mal plus grand. Ce qu'on ne peut décider sans considérer l'ennemi.

Un des traits qui mettent à part ce livre d'Alain sur la guerre, c'est le peu de place qu'y tient l'ennemi. Et c'est aussi le rôle qu'il y tient, conformément à l'expérience du soldat. Car en en cette guerre plus qu'en toute autre, sous les balles et les obus, parmi les mines et les sapes, le soldat pensait fort à l'ennemi d'en face, au voisin du secteur, non pas à l'Ennemi

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