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AMANTS, HEUREUX AMANTS... 539

se disent, à l'étranger, quand ils ne soupçonnent pas que leur voisin de table ou de fauteuil d'orchestre les com- prend. Les valets et les soubrettes des romans et comédies de l'Ancien Régime, devenus Monsieur et Madame. Quel- ques mois de libertinage, et puis les années et les années de ménage. Je n'arrive pas à imaginer ça. Mais comme Pauline envierait la libre existence d'Inga et de Cerri, si elle pouvait la connaître. Ne la connaissant pas, elle les regarde avec le mélange de curiosité et de désapprobation avec lequel les gens qui sont bien, tout entiers, d'une classe, regardent les gens d'une classe différente. Comme dans toutes les nations du monde, moins les gens sont civi- lisés plus ils méprisent les étrangers. Elle dirait, sans doute, que ce sont des gens qu'on ne reçoit pas et que les femmes ne sont pas présentables. Mais Inga est reçue où elle ne le sera jamais, et il n'y a pas de comparaison possible, poux la tenue et les manières, entre elle d'une part et Inga et Cerri de l'autre : Pauline ne sort pas sans Madame Mère, et Madame Mère serait bien émue si on la présentait à la comtesse. Mais si elle connaissait leur vie ! si elle avait pu les voir constamment depuis leur arrivée à Mont- pellier hier matin jusqu'à maintenant, jour et nuit. Quelle initiation ! quelle correction de bien des erreurs ! En supposant qu'elle soit intelligente et pas sentimentale (elle n'en a pas l'air) quelle leçon ! Oh, Inga s'attaquant à une fille comme celle-là ; à une demoiselle à marier ; et com- plétant son éducation. Elle réussirait : la petite bourgeoise si timide et si rangée, sur le bateau entre Malmô et Copenhague : si la traversée avait été plus longue nous soupions à trois (non, à quatre : le mari) ce même soir, à Tivoli. « Petite Nora », « Chère Inga », déjà ! Mais Pau- line ne sait pas, et ne saura jamais. Elle se croit sage, et on l'étonnerait bien si on lui disait qu'avec ces yeux-là et malgré la bouche et le menton un peu sévères, elle fera, elle aussi, des sottises, comme tant d'autres. Ainsi Mada- me,.., oui, je sais qui je veux dire. Je l'ai vue se détour-

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