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NOTES 49 3

semble connaître l'homme miroir, et je crois même qu'il aura des choses à nous dire que le poète ne nous dit pas, ou dont il ne nous parle qu'en passant, et sous forme d'allusions.

M. Werfel, en créant l'homme miroir, me paraît en effet avoir créé en vrai poète, un de ces personnages qui, une fois sur la scène, paraissent jouir d'une vie indépendante et n'appar- tiennent plus à celui qui leur a donné le jour. Le poète com- prend-il toujours ce qu'il a créé ? Connaît-il à fond ses person- nages ? Hamlet n'en sait-il pas plus que Shakespeare, et le Misanthrope plus que Molière ? Quoiqu'il en soit, il me semble que l'homme miroir n'a pas tout dit à M. Werfel, et qu'il cache quelque chose. Je voudrais l'interroger pour savoir ce qui en est, et si possible lui arracher son secret ; car, si je ne me trompe, il doit avoir des choses intéressantes à nous révéler, entre autres sur le symbolisme moderne et sur M. Werfel lui-même. En effet, l'homme miroir ne joue-t-il pas un rôle important dans la littérature contemporaine, et le fait de sa présence n'est-il pas propre à nous expliquer certains conflits qui aujourd'hui trou- blent l'âme des poètes ?

Il y a dédoublement du moi chez le poète moderne. A côté d'une âme qui sent , confusément sans savoir dire ce qu'elle sent, il y a l'esprit, il y a le moi littéraire qui sait et voit tout, et qui toujours maître de lui-même ne manque jamais de mots ni d'images pour représenter les sentiments. C'est lui qui, riche de toutes les imaginations du passé, aujourd'hui domine générale- ment le poète, et l'entraîne au loin, faisant miroiter devant ses yeux l'image d'un monde immense né de la littérature.

Avant la guerre, pourtant, les deux moi vivaient en paix. Le poète n'en voulait pas à son moi littéraire de la domination qu'il exerçait sur son âme ; il jouissait en connaisseur des richesses que l'autre avait rassemblées pour lui, et, sans se faire de scru- pules, y puisait ses inspirations. Les œuvres nées de cette pai- sible union ne manquaient d'ailleurs ni de goût, ni souvent même de profondeur.

Mais tout changea quand les poètes, pour se mettre au diapa- son des événements, voulurent crier au monde leurs souffrances et leurs révoltes. Ils s'aperçurent alors avec dépit, que leurs sen- timents et leurs gestes n'étaient plus tout à fait à eux, et qu'ils ne savaient plus pleurer leurs propres larmes. L'homme miroir

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