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LES INTERMITTENCES DU CŒUR 401

brûler les étapes, et sauter d'un seul coup des périodes, ne fut survenue que plus lentement.

Tout ce qui avait rapport à ma grand'mère était si sensible à maman qu'elle fut touchée infiniment, garda toujours le souvenir et la reconnaissance de ce que lui dit le Premier Président, comme elle souffrit avec indignation de ce qu'au contraire la femme du bâtonnier n'eût pas une parole de souvenir pour la morte. En réalité, le Premier Président ne se souciait pas plus d'elle que la femme du bâtonnier. Les paroles émues de l'un et le silence de l'autre, bien que ma mère mît entre eux une telle distance, n'étaient qu'une façon diverse d'exprimer cette indifférence que nous ins- pirent les morts. Mais je crois que ma mère trouva surtout de la douceur dans les paroles où malgré moi je laissai passer un peu de ma souffrance. Celle-ci ne pouvait que rendre maman heureuse, (malgré toute la tendresse qu'elle avait pour moi), comme tout ce qui assurait à grand'mère une survivance dans les cœurs. Tous les jours suivants ma mère descendit s'asseoir sur un pliant au bord de la' mer, pour faire exactement ce que sa mère avait fait, et elle lisait ses deux livres préférés, les Mémoires de M™" de Beausergent et les Lettres de M'"' de Sévigné. Elle, pas plus qu'aucun de nous, n'avait jamais pu sup- porter qu'on appelât cette dernière la « spirituelle mar- quise », pas plus que Lafontaine « le Bonhomme ». Mais quand elle lisait dans les lettres ces mots : « Ma fille », elle croyait entendre sa mère lui parler. Elle eut la mau- vaise chance, dans un de ces pèlerinages où elle ne voulait pas être troublée, de rencontrer sur la plage une dame de Combray, suivie de ses filles. Je crois que son nom était ^mc Poussin. iMais nous ne l'appelions jamais entre nous que « Tu m'en diras des nouvelles », car c'est par cette phrase perpétuellement répétée qu'elle avertissait ses filles des maux qu'elles se préparaient, par exemple en disant à l'une qui se frottait les yeux : « Quand tu auras une bonne ophtalmie, tu m'en diras des nouvelles. » Elle adressa de

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