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NOTES 371

Paris. M. Lewis est un jeune écrivain d'une belle intelligence et d'un grand cœur. Poussé par le besoin, il écrivit, pendant plusieurs années, des nouvelles étincelantes et éphémères pour les revues les plus cotées. Sans lui apporter richesse ni gloire, ces écrits le remplissaient d'une honte toujours grandissante. Il y a un an, n'y tenant plus, il « envoya tout promener ». Ainsi qu'il le disait à un ami : « Voici assez longtemps que je me prostitue. Je vais enfin écrire pour moi. Et je me fiche un peu que le livre se vende ou non !... « Et le livre s'est vendu par centaines de mille ; et la fortune de M. Lewis est faite : tout cela parce qu'il s'est insurgé soudain contre la commercialisa- tion de son talent, imposée par un monde vénal. Dans un esprit de pureté, voici que M. Lewis écrit un bon livre : il en est pavé de retour comme il ne le fut jamais par de méchantes nouvelles. Dans un esprit nouveau de haine à l'égard de l'Amé- rique, il expose et il met à nu la vie de ses compatriotes : il devient l'idole de la saison !

Assurément, la farce est plaisante et mérite d'être signalée. Le livre lui-même se distingue par la fidélité du détail, par une entière soumission à la vérité des personnages qui sont repré- sentés. C'est par dizaines de mille que les villes américaines ont leur « Grand'Rue ». L'eau-forte de M. Lewis est l'ouvrage d'un révolté. C'est une Emma Bovary de chez nous, froide, doctrinaire et prude, qui en est l'héroïne. Dans la fadeur uniforme, la laideur satisfaite de sa province, elle périt. Mais l'Américaine ne prend pas d'amants, elle réforme sa ville. Devant l'échec, elle n'a pas recours au poison, elle tombe dans un état de résignation vague et stérile. Si le livre a une valeur artistique, on sent que l'auteur n'y est pour rien. M. Lewis prend au sérieux l'écœurement de l'héroïne ; or, si elle nous émeut c'est parce qu'elle n'en sait pas plus que la ville dont elle entreprend la réforme, et parce que son idéal de « culture » est tout aussi absurde que celui de son mari ou de l'épicier. M. Lewis soigne avec un soin scrupuleux et jaloux ses person- nages de premier plan : du moins il les croit tels. Et il se trouve que l'ouvrage, pris dans son ensemble, n'est qu'un fond de tableau très dense et très poussé d'où ne se détache aucune silhouette. Car l'absence de plans, le manque de persotuialité, sont bien américains ; sans s'en rendre compte M. Lewis a noté

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