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REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 337

sur la foi d'un article de leur journal, passé à la réaction et à la congrégation, au trône et à l'autel. Il m'est arrivé d'écrire que les quelques coups de bâton reçus, un jour de sa jeunesse, par Voltaire, faisaient bien dans le paysage littéraire qu'est son exis- tence. AI. Souday en a conclu que j'approuvais les coups de bâton donnés par les grands et petits seigneurs aux gens de lettres et aux « confrères que je n'aime pas », ce qui ne pouvait être que le fait d'un « homme bien pensant ». De ce que Sainte-Hélène fait bien dans la vie de Napoléon, s'ensuit-il que nous approuvions Hudson Lowe ? Les critiques qui admirent le plus Voltaire sont unanimes à mésestimer son caractère, et s'il ne mérita pas les coups de Rohan, qui agit dans cette atfaire avec la plus dégradante lâcheté, il lui resta une longue vie pour en mériter un peu d'autres, qui heureusement lui furent épargnés. Aucun homme ne fut moins à plaindre que Napoléon d'avoir été à son tour une victime de la guerre. Et de tous les hommes de lettres aucun n'eut moins heu que M. de Voltaire de se poser en victime de son temps. Quand M. Souday nous dit que la destinée du pauvre Arouet eût suffi à légitimer la Révolution, qu'il vécut et écrivit sous un despotisme pire que celui du Saint-Office, nous avons le droit de sourire de cette littérature électorale. \'oltaire nous est un admirable modèle dans l'art d'écrire et miéme de penser, mais je persiste à croire qu'il n'est pas pour les gens de lettres d'un bon exemple professionnel et moral. « On peut apprendre quelque chose d'un scélérat », disait Frédéric II pour s'excuser de l'avoir fait venir à Berlin. Je n'irai pas jusque-là. Je m'en tiens aux opinions modérées et motivées de Brunetière, de Faguet, de M. Lanson. Mais n'appar- tenant à aucun parti politique même en matière de politique, à plus forte raison ne suis-je d'aucun parti politique en littéra- ture. Le jour où je changerai, je préviendrai ; je pense bien d'ailleurs qu'aucun lecteur de la .V. R. F. ne s'y est trompé.

A. T.

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