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322 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Sa voix est toujours douce et nuancée, mais le sourire accoutumé ne l'accompagne pas. C'est si anormal que, pour la première fois, je suis très émue, très angoissée, comme à l'approche d'un désastre. Je m'efforce du moins de le préve- nir, j'essaie, en hâte, du premier moyen venu de rappeler Inahilé à son âme quotidienne.

— Cela ne te fait donc pas rire, lui dis-je, de voir que je reconnais toujours bien les mots qui ne sont pas sortis de ta tête ?

Je le regarde bien amicalement pour quêter l'illumina- tion habituelle de sa figure ; mais il ne m'envoie qu'un tout petit ra3^on, comme s'il ne lui en restait plus.

Par quelle perversité ai-je voulu, dès lors, cheminer encore dans la voie de cette pénible aventure avec des paro- les ? Inahilé a épuisé les mots, puisqu'il n'en a plus trouvé pour écrire sa lettre. Il devrait lui rester encore des sourires et voilà qu'ils s'épuisent aussi.

D'autres individus, sous l'empire de la souffrance, réa- gissent ostensiblement, par l'impatience ou les larmes. Chez un autre qu'Inahilé mon injustice aurait provoqué la colère ; mais chez lui la douleur n'a pas d'autre réflexe que l'anéantissement.

Il fait tellement nuit, maintenant, sur sa personne que je ne sais plus dans quelle région de son être il s'est réfugié et que je le cherche, à tâtons, au risque de le piétiner, et c'est^ hélas ! ce qui m'arrive.

J'ai pris pourtant le ton le plus doux possible pour lui demander :

— Qui t'a aidé à faire ta lettre ? Est-ce ton camarade le téléphoniste ?

— Non, Madame, lui était parti permission.

— Alors, c'est peut-être le caporal-fourrier qui a aidé Mamady l'autre jour ?

— Non, Madame.

Evidemment Inahilé croit que son collaborateur a com- mis un nouveau crime, de la nature mystérieuse de celui

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