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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 189

Allemagne et en France, à peu près en fonction des théories philosophiques et biologiques de l'évolution. D'autre part l'évo- lutionnisme anglais, celui de Darwin et de Spencer, n'a donné lieu à aucune philosophie de l'histoire (qu'il ne faut pas con- fondre avec la sociologie). L'esprit anglais semble peu apte aux grandes systématisations historiques, qui demandent un mélange d'abstraction et d'imagination concrète fort éloigné de l'empirisme britannique : comparez Macaulay et Guizot, comparez la forte philosophie de l'histoire qui anime la socio- logie de Comte et la Politique positive avec l'absence complète de cette philosophie dans les écrits sociologiques de Spencer. Mais, d'une façon générale, une philosophie de l'histoire s'im- pose dans un système en raison directe de la place que ce sys- tème attribue à la durée. Selon Schopenhauer toute la philo- sophie hégélienne de l'histoire tombe dès qu'on admet l'idéa- lité du temps. Une philosophie telle que le bergsonisme, pour laquelle la durée non seulement existe, mais constitue la substance de toute réalité, devrait donc engendrer naturel- lement une philosophie de l'histoire.

Et de fait il n'y a rien à quoi le bergsonisme s'applique mieux. C'est ce qu'avait fort bien vu Jean Florence dans un article de la Phalange en réponse au livre de M. Benda. Si le bergsonisme n'a pas produit encore de philosophie de l'histoire, il faut s'en prendre à des causes accidentelles.

La méthode de travail de M. Bergson, qui l'oblige à aborder la philosophie par des questions particulières qu'il traite à fond et au sujet desquelles il dépouille toute la littérature d'un sujet, lui interdisait un domaine aussi vaste et un océan aussi illi- mité de papier. Et l'histoire a ses méthodes rigoureuses, on ne s'improvise pas historien sur le tard. Une ou deux vies d'homme supplémentaires seraient nécessaires au philosophe pour qu'il donnâi'kVEvolution créatrice le pendant historique dont nous imaginons à peu près les grandes lignes. Ce qu'il ne pouvait faire, des collaborateurs et des élèves l'eussent peut-être entre- pris. Mais l'influence du bergsonisme, si diffuse et si illusoire en surface, s'est malheureusement peu fait sentir encore en profondeur. Les exigences de la pensée solitaire ont détourné le philosophe de l'apostolat. La chaire de Sorbonne, qui seule eût permis de constituer une équipe bergsonienne comme il y

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