Page:NRF 17.djvu/157

Cette page n’a pas encore été corrigée

ON NE SAURAIT TOUT DIRE I5I

buveurs se livrèrent à la Hutte d'enfer. — Dans ces patelins-là, toutes les huttes sont plus ou moins « d'en- fer ». — Ni la montée par cette rampe qui dominait comme un balcon vertigineux notre chemin de tout le jour ; ni comment Raphaël fut assez lâche et assez rou- blard pour passer, une fois de plus, son sac à Gaspard ; ni comment nous nous trouvâmes sur le Bildstôckljoch à huit heures et demie, alors que la nuit tombait ; ni com- ment Joseph Tiefenau, nous ayant vaguement indiqué notre direction, s'éclipsa soudain sous un prétexte futile dans lequel il était encore une fois question de fiancée.

Il m'eût été pourtant bien agréable de vous peindre, même sommairement, même en quelques mots, ce pay- sage courroucé, immobile, inhumain commiC le Dieu de la Bible, ces montagnes emprisonnant dans une poigne crispée des névés qui bavaient de toutes parts, ces moraines refoulées comme de monstrueux monceaux de balavures, ces petits lacs de turquoise, déjà ressaisis par le gel noc- turne.

Baste ! on ne saurait tout narrer sans perdre de vue son histoire. Je vous dirai, une autre fois, notre descente dans la nuit, nos cris dominés par le hurlement des eaux, le lampion dansant qui nous rassembla sur une crête envi- ronnée de précipices, le soulagement qui nous saisit à per- cevoir les appels de Tiefenau, les remords de ce guide paillard mais débonnaire, et l'espèce de sommeil qui m'envahit cependant que courait devant moi la lanterne pliante du plus fiancé des montagnards tyrohens.

Je dormais donc à poings fermés, tout en marchant, quand vers la onzième heure du soir, nous atteignîmes Kurzras.

La nuit était énorme, impénétrable, hantée de souffles, tuméfiée du bruit des torrents, ce bruit qui gronde encore dans mes oreilles pendant l'insomnie. J'entendis Joseph Tiefenau ouvrir une porte et nous entrâmes dans la clarté, nous entrâmes à Kurzras, par une porte comme

�� �