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PRÉFACE A « ARMAKCE )) I39

tée, au point qu'il est toujours plus facile de faire croire qu'une femme est votre maîtresse, que, si elle l'est vrai- ment, de le cacher — de tout ce que dessus il ressort que les Babylans sont fort malaisés à reconnaître, et, partant, beaucoup plus nombreux qu'on ne croit.

Si nombreux, pourtant, que soient les Babylans, et quand ils le seraient plus encore, le cas d'Octave n'en reste pas moins spécial. Et ce mot, dès qu'on l'applique aux choses de l'amour, son sens étroit se rétrécit encore ; au point que d'ordinaire le public et les critiques n'accordent pas volon- tiers au romancier le droit d'occuper ce réduit. La moindre anomalie que manifeste le héros dans ses rapports avec la femme l'exclut, semble-t-il, du commun de l'humanité qui seul ait droit de nous intéresser. Au point de vue littéraire, il est forclos. Et j'admire donc que Stendhal, pour son premier roman, fasse choix d'un sujet semblable. Toute- fois il ne me paraît point que ce qui l'attire ici ce soit l'anor- mal ; non, mais bien le particulier.

Et c'est par là qu'il se sépare, s'oppose même à Marivaux, à qui, tout en relisant Armance, je songeais irrésistiblement. Nous retrouvons ici le thème favori de son théâtre : la sur- prise par l'amour et la lente conquête d'un cœur qui se défend d'aimer ; et même cette naïveté de l'amant, qui ne prend conscience de ses sentiments que lorsqu'un tiers les lui révèle : « Ce mot imprévu (de la Comtesse d'Aumale) en découvrant à Octave le véritable sentiment de son cœur... » ; nous retrouvons sa délicatesse, sa subtilité, la même « sorte de noblesse tendre » ', presque parfois son tour d'esprit... Mais ce rapprochement ne me plaît que pour m'aider mieux à sentir une différence essentielle : tandis que Marivaux (et c'est par là qu'il m'exaspère) promène ses héros, dé personnalisés jusqu'à l'abstrait, dans un pays du tendre dont la carte puisse servir indifféremment à n'im- porte qui, l'itinéraire d'Octave ne saurait être suivi que par

I. Armance, chap. viii, p. 65.

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