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tout qu'il y ait là quelque chose d'écourté, un manque de souffle.

Et pourtant nul poète n'eut le sens du renouvellement au milieu même d'une poésie. Parfois c'est un brusque changement de ton. Nous avons déjà cité la pièce satanique « Harpagon qui veillait son père agonisant » finissant par « Le son de la trompette est si délicieux ». Un exemple plus frappant (et que M. Fauré admirablement traduit dans une de ses mélodies) est le poème qui commence par « Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres » et continue tout d'un coup, sans transition, dans un autre ton, par ces vers qui même dans le livre, sont tout naturellement chantés


J'aime, de vos longs yeux, la lumière verdâtre.


D'autres fois la pièce s'interrompt par une action précise. Au moment où Baudelaire dit : « Mon cœur est un palais .... », brusquement, sans que cela soit dit, le désir le reprend, la femme le force à une nouvelle jouissance, et le poète à la fois enivré par les délices à l'instant offertes et songeant à la fatigue du lendemain, s'écrie :


Un parfum nage autour de votre gorge nue
O Beauté, dur fléau des âmes, tu le veux,
Avec us yeux de feu brillants comme des fêtes
Calcine ces lambeaux qu'ont épargné les bêtes.


Du reste certaines pièces longues sont, par exception, conduites jusqu'à la fin sans une défaillance comme les « Petites Vieilles », dédiées, à cause de cela je pense, à Victor Hugo. Mais cette pièce si belle, entre autres, laisse une impression pénible de cruauté. Bien qu'en principe on puisse comprendre la souffrance et ne pas être bon, je ne crois pas que Baudelaire, exerçant sur ces malheureuses une pitié qui prend des accents d'ironie, se soit montré à leur égard cruel. Il ne voulait pas laisser voir sa pitié, il se contentait d'extraire le « caractère » d'un tel spectacle, de sorte que certaines strophes semblent d'une atroce et méchante beauté :