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622 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

notre âme est an lieu de perpétuels contrastes et que, peut- être, une extrême médiocrité, le plus piètre égoïsme, l'Igno- rance, la sufiisance, l'imbécillité sous-tendent continuellement ses expansions les plus magnifiques ; mais la façon dont le vil s'y mélange au sublime varie suivant les individus d'une manière absolument imprévisible ; il faut pour chacun découvrir ce mélange, l'analyser, en déterminer les proportions toujours inédites, le refaire soi-même, si l'on veut que le personnage vive. Bernard Shaw dédaigne de remettre ainsi la main à la pâte ; il n'écoute que son idée, qui est que l'endroit de l'homme n'est que son envers ; cette idée seule est à l'œuvre dans ses pièces ; elle seule agit, crée, sans détour par la vie, sans véritable observation. Aussi la complexité de chaque âme reste-t-elle toute en surface ; ce n'est qu'un trompe-l'oeil ; seul l'esprit de l'auteur s'agite pour la suggérer ; une succession, presque mécanique, d'aspects psychologiques opposés fait ici fonction de mouvement intérieur, d'animation. On sent le montreur par derrière ; le paradoxe des attitudes est toujours de lui ; c'est toujours lui qui le propose ; il ne naît jamais de la vie elle-même. En revanche, Bernard Shaw est un dramaturge extrêmement adroit ; à défaut du don tragique, qui est celui de suivre et de révéler une fatalité, il a l'art de renouveler constamment les aspects dramatiques et de ne jamais laisser retomber notre attente. Il est même étrange qu'avec si peu de ressources véritables, il puisse s'arranger pour fournir à celle-ci une satisfaction si régulière et de qualité si imprévue. Sa légèreté, l'instabilité même de son esprit lui viennent ici sans doute en aide ; il lui suffit de céder à son irritante manie de bousculer les situations, les indices qu'il vient de poser. Génie tout subver- sif, pur courant d'air peut-être, il a une façon inimitable d'abattre et de reconstruire sans cesse ses spécieux châteaux de cartes. On le suit en tous cas, il nous agace, il nous tient.

��Ce n'était pas le moindre intérêt du Cocu Magnifique que de nous laisser dans l'hésitation sur la nature véritable des dons de son auteur. Presque jusqu'à la fin du 11^ acte, on pouvait croire à un psychologue, l'homme de théâtre étant, par surcroît, dès le début, à peu près incontestable. La façon dont la jalousie nous

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