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BILLET A ANGÈLE

��On l'a dit souvent : les jugements que nous portons sur nos contemporains sont contrefaits. Outre que nos amitiés nous obligent, nous manquons du recul nécessaire et, suivant notre humeur, dénigrons ou magnifions à l'excès ceux qui œuvrent trop près de nous. Certains qui nous paraissent considérables, dont le renom, grâce à la compli- cité des critiques, semble aux yeux même de l'étranger apporter un lustre neuf à la France, étonneront bientôt par leur insignifiance. Je veux que l'on m'ignore si, avant que deux générations aient passé, les noms de Curel, de Bernstein, de Bataille sont beaucoup plus cotés que déjà celui de Mendès aujourd'hui...

Je m'étais bien promis de ne plus parler que des morts ; mais il me désolerait pourtant de ne laisser en mes écrits aucune trace d'une des admirations les plus vives que j'aie jamais éprouvées pour un auteur contemporain — et je dirais sans doute la plus vive, si Paul Valéry n'existait point. Malgré ce que j'ai dit plus haut, je ne pense pas surfaire l'importance de Marcel Proust ; je ne pense pas qu'on la puisse surfaire. Il me paraît que, depuis longtemps, nul écrivain ne nous avait plus enrichis.

Madame B... me racontait hier qu'elle avait eu de tout temps la vue faible ; ses parents ne s'en avisèrent pas aus- sitôt, et ce n'est que vers l'âge de douze ans qu'on com- mença de lui faire porter des lunettes. « Je me souviens si bien de ma joie », me disait-elle, « lorsque, pour la première fois, je distinguai tous les petits cailloux de la cour. » —

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