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550 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

elle est déchaînée. Ainsi ai-je fait, et sans mauvaise humeur. Ce sont les enfants qui frappent les pierres.

Mais considérez que la guerre est un fait humain et qui ilépend des opinions. La guerre résulte d'une opinion com- mune, juste ou fausse, accompagnée de colère. Et j'ai bien à constater cela, hélas ! Seulement n'oublions pas que je suis acteur aussi, fabricant d'opinion aussi. Il serait trop niais de demander à la masse des autres si je veux la guerre; surtout quand je les vois presque tous, sinon tous, interro- ger à leur tour le voisin et les gazettes, afin de savoir ce qu'ils pensent.

Ou bien la politique n'est que vertige de foule et l'homme esclave absolument, ou bien il y a un moment, dans l'éla- boration de l'opinion commune, où l'homme doit juger seul et par lui-même. Non pas d'après la méthode des fanati- ques, qui n'ont de pensée qu'ensemble, mais par la méthode de science vraie, qui suppose l'homme solitaire et libre par volonté. Bref, avant de savoir si la guerre sera par l'opinion commune, il faut que je sache si la guerre sera par mon opi- nion. A ce moment-là je n'ai devant moi aucun fait humain déterminant, si ce n'est ma propre pensée avec ses affec- tions. Je suis souverain. Il s'agit non pas de ce que je sup- pose qui sera, mais de ce que je veux qui soit. Problème uniquement moral ; je n'y puis échapper. Si la guerre est bonne, si c'est seulement la défaite qui est mauvaise, si j'ai pris le parti d'user de tous moyens en vue du succès, alors oui le problème de la guerre sera un problème de fait. « Vain- crons-nous ? Sommes-nous prêts ? » Mais si j'ai pris comme règle de vie le travail et la coopération, si la violence est pour moi un moyen vil d'acquérir, si je tiens enfin pour la justice de toutes mes forces, alors je dis non à la guerre, au dedans d'abord, et au dehors, autour de moi, comme c'est mon droit et mon devoir de dire, prononçant non sur ce qui est, mais sur ce qui doit être, non sur ce que je cons- tate, mais sur ce que je veux. Juger, et non pas subir, c'est le moment du Souverain.

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