Page:NRF 16.djvu/526

Cette page n’a pas encore été corrigée

520 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

diable, il avait été vu, en train de se glisser hors du cime- tière où il n'avait rien pu faire que de malpropre. Donc Toupin était revenu dans la région et se cachait. La fille de ferme était sa première victime. Voilà ce qu'on pensait, voilà ce qu'on disait à voix basse dans le pays de Lian- court.

Une chose étonnante est que de tous ces Liancourtois, pas un n'eut le courage de prononcer en justice le nom de Laudrel dit Toupin. Le peu qui dut faire le voyage d'Amiens pour y porter témoignage ne souffla pas mot de Toupin. Peut-être les gens de Liancourt sentaient-ils qu'ils n'avaient rien à prouver contre Laudrel. Peut-être avaient- ils, de leur Laudrel, une peur si noire qu'ils redoutaient même de lâcher son nom devant les juges. Pour mon compte, je crois que la justice d'Amiens leur semblait une chose redoutable, bien étrangère, somme toute, à leur affaire. Liancourt avait un secret, un de ces secrets qu'on ne peut raconter à des gens qui ne sont pas du pays.

On laissa donc le tribunal se débrouiller bien tranquille- ment avec son chemineau, et on continua, dans Liancourt, à penser ce qu'on pensait.

Le second coup de Laudrel dit Toupin ne se fit pas attendre. Un grand fointier prit feu, près de la voie du chemin de fer. Liancourt trembla sous l'averse de flam- mèches, car, comme vous le pensez bien, Toupin avait attendu le vent d'ouest, afin de mettre tout le village dans le souffle de l'incendie. Cette fois-là, on aperçut, à la lueur des flammes, Toupin (ou l'ombre de Toupin), qui s'en- fuyait vers les marais de la Troesne, car il lui fallait bien trouver à se mucher dans une région qui n'est guère boca- geuse.

Dans le courant de la même saison, trois porcs furent massacrés dans leur ceute, massacrés à coups de hache. Tout le monde reconnut que Toupin faisait le mal pour le mal, sans espoir d'en tirer profit, ce qui, de l'avis général, était assez bien dans son genre, à Toupin.

�� �