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NOTES 489

ni des « professionnels », mais chez lesquels, tout bourgeois qu'ils soient, nous découvrons le même profil d'âme que chez les héros de la tragédie classique, c'est quasiment un miracle en France, depuis que Porto-Riche, Bataille et Bernstein ont achevé d'avilir ce genre de théâtre, auquel Augier, Dumas et même Becque avaient déjà porté un premier coup terrible, en le rapetissant de toute la question d'argent.

Il est réconfortant que de jeunes écrivains dramatiques semblent s'apercevoir à nouveau que le nombre et l'essence des grands sentiments, indispensables à un grand théâtre, n'ont pas varié. Il y en a autant à notre époque qu'au xvii« siècle et capables d'engendrer de grands conflits sans bassesse, — moraux ou immoraux, sublimes ou sataniques, peu importe.

M. Paul Raynal, dans le Maître de son Cœur, mettait aux prises l'amour et l'amitié. M. Gabriel Marcel affronte, dans son Oualtior, des sentiments de même taille. Son sujet : l'amour en lutte avec l'art et en lutte avec le sentiment fraternel, l'histoire d'une femme qui, trompée, a divorcé et s'est remariée avec le frère du musicien de génie, son premier mari. Encore aux deux thèmes dominants en juxtapose-t-il de nombreux autres qui s'entrecroisent, s'enchevêtrent, se recouvrent — l'amour en conflit avec le pharisaïsme bourgeois ; le retour de la femme au premier arpour dont elle est restée « imprégnée »; l'aspiration à la paternité ; la passion pour la musique, — trop peut-être, car ils risquent d'éparpiller l'attention du spectateur (le lecteur s'y retrouve mieux) au lieu de la concentrer sur les deux thèmes principaux.

Sur une trame qui était racinienne, l'auteur a brodé des épisodes et des motifs ibséniens, lyriques, moraux et parfois symboliques. Mais est-ce en amalgamant Racine et Ibsen qu'on réalisera la tragédie d'amour moderne ? M. Gabriel Marcel n'a d'ailleurs pas réussi la fusion . Nous nous garderons pourtant de condamner sa tentative. La dramaturgie de Racine, pour un écrivain drama- tique d'aujourd'hui, n'est plus un modèle suffisant. M. Raynal qui, au départ, avait lui aussi songé à Racine et qui ne voulut pas s'écarter de la tradition française, dut recruter, en cours de route, Marivaux et Musset.

Ces tentatives, qui n'ont pas abouti à une réussite complète, marquent du moins nettement une nouvelle étape. Ils font

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