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NAUFRAGE DE LA « VILLE DE SAINT-NAZAIRE » 329

même à redevenir follement anxieux et à pousser des cris désespérés, quand tout à coup nous lui vîmes carguer sa misaine goélette. Le commencement de cette manœuvre nous indiqua immédiatement qu'il nous avait vus et nous transporta de joie ; nous retrouvâmes nos forces épuisées.

Le matelot Savona, qui jusque-là avait été d'une mol- lesse inconcevable, car il était robuste, fut animé immédia- tement d'une activité fébrile. Aucun de nous d'ailleurs ne sentait plus les douleurs atroces de son pauvre corps démoli. Mariani seul fut insensible à cette joie de voir apparaître un navire sauveur au moment où nous allions mourir, car il n'avait plus conscience de rien. Cependant aux mouvements que nous fîmes pour manœuvrer et faire nos signaux, aux cris désespérés que nous avions poussés, je le vis ouvrir les yeux, lui qui ne les ouvrait plus depuis des heures, et il regarda ce qui se passait. Mais j'eus beau lui dire que nous allions être recueillis, aucune impression de joie ne se manifesta sur sa physionomie. Il resta assis sur sa banquette, sans faire un mouvement, dans l'attitude où il était depuis le matin, son corps se balançant seulement suivant les mouvements de l'embarcation. Il referma les yeux presque aussitôt, comme si rien ne se passait.

Le steamer, sa voile carguée, esquissait son mouvement pour tourner complètement et venir au vent à nous pour nous abriter de la mer qui était houleuse et agitée. Quand il eut tourné complètement et fut revenu sur ses pas, en sorte que nous nous trouvâmes par son travers, nous ame- nâmes notre voile et nous nageâmes environ deux cents mètres pour l'atteindre. Plusieurs matelots qui étaient prêts sur la lisse avec des amarres, nous les lancèrent aussitôt que la baleinière fut accostée ; deux forts gaillards descendirent dedans pour nous aider à grimper à l'échelle de pilote, que l'on avait installée. On fut obligé d'amarrer Hébert et Savona sous les bras, pour les aider à monter, car leurs forces ne leur permettaient plus de le faire seuls. Après

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