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NAUFRAGE DE LA « VILLE DE SAINT-NAZAIRE )) 315

goëland qui vole presque à deux milles de distance ; à plus forte raison une baleinière avec sa voile haute qui est u ne surface assez grande au-dessus de l'horizon pour attirer l'attention à plus de trois milles, par beau temps ; mais même avec le temps qui régnait à ce moment, ce navire aurait certainement pu nous voir à deux milles, surtout dans les instants où la baleinière se trouvait sur la crête des lames. 11 disparut pourtant à nos yeux en laissant dans nos cœurs un profond sentiment de découragement, qui s'augmentait du fait que c'était le troisième steamer que nous apercevions et qui nous abandonnait ainsi à une mort que nous sentions approcher à chaque minute. Les angoisses qui suivent de tels moments sont mémorables et défient toute description. Il faut s'être trouvé dans une telle situation pour bien en imaginer l'horreur. Je ne devais pourtant pas me laisser aller à un découragement trop visible afin de ne pas augmenter l'effroi de mes pauvres compagnons^ qui n'avaient que trop de tendance à se croire irrémédiablement perdus. Et puis, ne fallait-il pas lutter encore, lutter toujours et jusqu'au dernier souffle pour essayer de nous arracher à notre lugubre sort.

Je repris donc mon aviron gouvernail un instant aban- donné^ et je maintins notre ancienne allure en gouvernant de façon à tenir le vent de la hanche de tribord ; nous continuâmes ainsi à naviguer sans échanger la plus petite réflexion sur ce qui venait de se passer. La nuit approchait à grands pas et avec elle nos souffrances devenaient plus vives et nos angoisses plus profondes ; en effet des navires pouvaient passer sans nous voir et rien ne pouvait signaler notre présence. Nous n'avions pas le plus petit feu à faire briller ; il ne nous restait que nos faibles voix, bien atté- nuées par les souffrances de toutes sortes déjà endurées, pour essayer d'attirer l'attention des navires dans la nuit noire. Mais pour entendre nos appels désespérés qui eussent encore été presque couverts par le bruit du vent, - il eût fallu que ces navires vinssent à passer bien près de

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