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240 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

source dont il a jailli, un torrent des Alpes avant la traversée des grands lacs, n'a encore pu ni décanter son flot, ni s'orienter. Au hasard des apports il déborde, il noie tout ; et puis il se disperse, n'ayant creusé qu'un lit provisoire, trouvé qu'un che- min sans issue. Tout est à refaire après la tentative de Kiiltur- poliiik de la récente Allemagne, comme après l'eflfort de Goethe à Weimar. Et on assiste à un nouveau bouillonnement, au Sturm uiid Drang qui revient périodiquement et que nous serions tentés d'appeler révolution si ce n'était surtout une crise de la sensibilité, larmes et rire nerveux.

Au-devant de l'imagination point d'objet défini qui l'entraîne. Les Allemands d'hier se croyaient une mission. Un acte de foi reliait les uns aux autres les membres d'une communauté reli- gieuse vraiment. La mission ayant échoué, la religiosité reste ne sachant à quoi se prendre. L'individu qui était dépos- sédé de lui-même par la chose d'état, s'agrippe aux ruines de cette chose. Ou bien il tâche à s'y retrouver tout seul. Mais alors débarrassé de la contrainte qu'il avait appelée pour se défendre du danger de ses impulsions, de ses contradictions, le voici encore une fois livré à elles. Il s'y abandonne avec la volupté de l'iconoclaste. Une frénésie l'entraîne à mettre en pièces ses idoles : il faut que meurent les anciens dieux pour qu'un monde renaisse.

Ce monde à ressusciter n'a dans l'esprit de l'Allemand ni lignes, ni figure. Il n'est pas vu, il n'est pas ordonné sur un plan, conçu sous trois dimensions. On l'entend seulement venir ; on l'épie ; il vient. Et son ordre est celui de la musique. Un moi qui n'est pas lié, qui est trop fluide pour se modeler, qui ne garde pas même la forme du moule où il fut un instant coulé, échappe aux doigts du sculpteur. Et pourtant vivant, frémissant, impatient de se former, ou au moins de s'exprimer, il chante. Il chante n'importe comment, n'importe quoi, ce qui d'un cœur à la Werther, maladif et gâté, monte aux lèvres, spontanément. Une âme éperdue devant la beauté, devant l'horreur du monde, s'extravase, se répand en efl"usions, en balbutiements lyriques. L'expressionnisme n'est que l'essai de projeter au dehors ce dont l'Allemagne se croit grosse, et qu'elle n'a pas jusqu'ici réussi à enfanter. Que sera-ce ? Elle n'en sait rien : comment nommer ce qui n'est pas encore et qui

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