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UNE AGONIE 15

frère. Souci caractéristique de Combray, de ne pas manquer à la délicatesse et que Françoise portait jusque dans la poli- tique extérieure. Les niais s'imaginent que les grosses dimensions des phénomènes sociaux sont une excellente occasion de pénétrer plus avant dans l'âme humaine ; ils devraient au contraire comprendre que c'est en descendant en profondeur dans une individualité qu'ils auraient chance de comprendre ces phénomènes. Françoise trouvait, avait mille fois répété au jardinier de Combray que la guerre est le plus insensé des crimes et que rien ne vaut, sinon vivre. Or, quand éclata la guerre russo-japonaise, elle était gênée que nous ne nous fussions pas mis en guerre pour aider « les pauvres Russes » « puisqu'on est alliance », disait-elle. Elle ne trouvait pas cela délicat vis-à-vis du czar qui avait toujours eu « de si bonnes paroles pour nous » ; c'était un effet du même code qui l'eût empêché de refuser à Jupien un petit verre, dont elle savait qu'il allait « contrarier sa digestion », et si près de la mort de ma grand'mère, la même malhonnêteté dont elle jugeait coupable la France, restée neutre à l'égard du Japon, elle eût cru la commettre, en n'allant pas s'excuser elle-même auprès de ce bon ouvrier électricien qui avait pris tant de dérangement.

Nous' fûmes heureusement très vite débarrassés de la fille de Françoise, qui eut à s'absenter plusieurs semaines. Aux conseils habituels qu'on donnait à Combray à la famille d'un malade : « Vous n'avez pas essayé d'un petit voyage, le changement d'air, retrouver l'appétit, etc. », elle avait ajouté l'idée presque unique qu'elle s'était spéciale- ment forgée et qu'aussi elle répétait chaque fois qu'on la voyait, sans se lasser et comme pour l'enfoncer dans la tète des autres. « Elle aurait dû se soigner radicaletmnî dès le début. » Elle ne préconisait pas un genre de cure plu- tôt qu'un autre, pourvu que cette cure fût radicale. Quant à Françoise, elle voyait qu'on donnait peu de médicaments à ma grand'raère. Comme selon elle, ils ne servent qu'à vous abîmer l'estomac, elle en était heureuse, mais plus

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