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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 195

effort d'invention ni qui fût bien difficile à saisir. Et il est bien évident que le livre de M. Poincaré paraît tout aussi bien que ceux de M. Maurras ou de M. Bainville l'œuvre d'un homme qui a joué toute sa vie sur le tableau de l'intérêt français. 11 y a simplement ceci que certaines puissances, analogues à celles qui président à la formation de l'œuvre d'art, sont à l'œuvre dans l'atelier de M. Maurras. Il a connu et senti une France, matérielle dans le présent, substantielle dans le passé, une France de chair et d'os. Il a donné à la réalité de la France ce goût de chair qu'il reproche à Chateaubriand d'avoir donné aux mots français. Et, pour rappeler un autre encore de ses en- nemis intimes, il s'est identifié à l'être de la France par des fibres sensibles comme Michelet, autre « Français forcené ». M. Bainville, très artiste lui aussi, s'est appliqué et consacré à cette même idée plastique de l'intérêt français, mais d'une manière plus intellectuelle, plus lucide et plus dépouillée. Il a été (allons-y d'une troisième et d'une quatrième injure) le Melanchthon de ce Luther, le Nicole de cet Arnauld.

V Histoire de deux peuples, V Histoire de trois générations, les Conséquences politiques de la paix, trois ouvrages explicatifs de la grande guerre, figurent parmi les livres les meilleurs et les plus solides qu'on ail écrits sur les questions vitales de la poli- tique française. Ce sont des épures élégantes nées d'une médi- tation intense et lucide de l'histoire de France, de la guerre et de la paix vues à la lumière de l'histoire de France.

Evidemment ce n'est pas M. Bainville qu'on accuserait jamais d'être, comme on l'a dit de M. Maurras, un romantique re- tourné ou rebouilli. Ses trois livres portent à peu près dans la politique le même visage que V Histoire de la littérature française de Nisard portait dans la littérature. 11 existe pour lui une perfection politique française : les traités de Westphalie évolués harmonieusement en le « système » de 1756, comme il existait pour Nisard une perfection littéraire, les grands auteurs clas- siques d'après ié6i, complétés ou achevés par la critique et la prose de Voltaire. Aucun autre point de vue ne permettra, sur l'un et l'autre tableau, plus d'excellente critique et de solide politique, qui l'une et l'autre peuvent mener à tout, à condi- tion d'en sortir, c'est-à-dire d'en reconnaître et d'en juger les limites après les avoir utilisées.

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