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��NOTES ^5^ i

nous un tel empire, nous acceptons d'elle tant d'ivresses, nos

sensations nous sont déjà une source de si grand délire, que [

nous avons perdu tout intérêt pour les sentiments propre- |

ment dits, que nous ne croyons plus en eux, je veux dire à *

leur pureté, à leur indépendance, à leur réalité abstraite. i

Nos nerfs sont trop vite ébranlés; nous n'avons plus la \

patience d'attendre que notre cœur le soit tout seul. Et si

quelqu'un nous montre ses mouvements propres, autonomes,

nous l'accusons de les supposer. i

Il est vrai que la psychologie de Marivaux a quelque ;

chose de plus strictement technique qu'aucune autre. Elle ' ;

porte sur le seul phénomène de l'amour et le décrit d'une ;

manière quasi-scientifique, en faisant abstraction des indivi- {

dus qui peuvent en devenir le sujet. C'est à peu près comme Descartes croyait pouvoir étudier les passions. Il n'y a, chez Marivaux, pour ainsi dire pas de caractères : il prend les types tout faits de la Comédie Italienne et loin de chercher à les particulariser, il les appauvrit encore, si possible, de leurs prérogatives traditionnelles pour en faire les récep- tacles neutres et vides d'un sentiment dont son ingéniosité passera toute à analyser les seules intrinsèques variations.

Un tel parti-pris d'épuré entraînerait à coup sûr de la séche- resse, si l'analyse ne se trouvait être presque constamment d'une vérité miraculeuse et ne restituait par là au spectateur tout au moins un personnage vivant, à savoir lui-même, qui assiste, qui écoute et qui ne peut faire autrement, s'il a jamais éprouvé l'amour, que de se reconnaître à chaque mot. Si le lieu de la pièce, chez Marivaux, reste toujours indéterminé et comme idéal, c'est au fond parce qu'elle se déroule au dedans de nous, parce qu'elle n'est rien de plus que l'éclaircissement, la mise en marche et en activité, de nos propres passions. Nous n'avons pas à la situer, parce que nous la .portons en nous, ou mieux, parce que, sous l'appel de sa constante évidence, nous nous portons sans

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