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SaUVEKIRS SUR TOLSTOÏ 917

— Mais il s'y mêlera encore des chevaliers, Léon Nico- laïevitch.

— Laissez donc. Je parle très sérieusement... Celui qui v^ se faire moine et prier pour toute la famille — c'est magni- fique. Voilà ce que l'on appelle la réalité. \'ous péchez et moi je vais aller expier vos péchés par la prière. Et puis l'autre, le dégénéré, le fondateur rapace de la famille — voilà en- core qui est vrai. Et c'est un ivrogne, c'est une brute dépravée, il aime tout le monde et tout à coup, il commet un meurtre. Ah, voilà qui est bien, on devrait l'écrire. Parmi des voleurs et des mendiants, vous ne devez pas chercher des héros. Non, réellement, vous ne le devez pas. Des héros, c'est un mensonge, une invention. Il n'y a que des hommes, des hommes, rien d'autre.

Il lui arrivait souvent de relever des exagérations dans mes contes. Mais un jour, parlant des « Ames Mortes », il dit, avec un bon sourire :

— Au fond, nous sommes tous de terribles inven- teurs. Moi aussi il m'arrive quand j'écris, de me prendre tout à coup de compassion pour un de mes personnages, et alors je lui attribue une qualité, ou j'en ôte une à quelque autre pour qu'à la comparaison, il ne paraisse pas trop sombre. » Et prenant le ton sévère d'un juge inexorable : « C'est pourquoi je dis que l'art est un mensonge, une feinte voulue, nuisible aux hommes. On ne décrit pas la vie, on n'écrit que ce qu'on pense de la vie. Quel bien cela peut-il faire à qui que ce soit de savoir comment moi j'envisage cette tour, ou la mer ou unTartare ? Quel intérêt ou quelle utilité y trouv«>-

,t-on?»Je me rappelle une promenade que je fis, un jour, en sa compagnie sur la route qui mène de Dyulbev à Ai-Todor. Il marchait du pas léger d'un jeune homme, lorsqu'il me dit avec plus de nervosité qu'il n'en mettait d'habitude : « La chair devrait être le chien soumis de l'esprit, accourant au moindre signe que lui fait son maitre pour exécuter ses

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