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^12 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Ce fut à Yasnaya Poliana que je le revis. Le ciel était couvert. C'était un jour d'automne et de bruine. Après s'être enveloppé d'un lourd pardessus et chaussé de hautes bottes de cuir, il m'emmena faire une promenade dans le bois de bouleaux. Il enjambait les fossés et les flaques d'eau avec l'agilité d'un jeune homme, il secouait les gouttes de pluie des branches, et en même temps il me racontait en termes magnifiques, comment Fet lui avait expliqué Schopenhauer dans ce même bois. Caressant d'un sieste affectueux les troncs humides et satinés des bouleaux, il disait : « Je viens de lire un poème :

Les champignons sont partis mais dans les cavités persiste Leur odeur lourde et humide....

— Très bien, et très vrai cela ! »

Tout à coup, un lièvre nous ptirtit entre les jambes. Léon Nicolaïevilch sursauta tout excité. Sa figure s'anima, et le vieux chasseur qui subsiste en lui, poussa un cri. Puis se tournant vers moi, il m'adressa un étrange petit sourire qui se transforma en un rire si humain, si plein de bou sens. Rien ne saurait rendre le charme qui émanait de lui, à cet instant.

Une autre fois il suivait des yeux un épervier, dans le parc. L'oiseau planait au-dessus de l'étable, et suspendu dans les airs, décrivait de larges cercles, battant à peine des ailes, comme s'il n'était pas sûr encore que le moment fût venu de foncer sur sa proie. Léon Nicolaïevitchs'arrêta^ et s'abritant les yeux de la main, murmura tout excité : «Le coquin, il a l'intention de foncer sur nos poulets. Regardez... le voilà... le voilà... Oh, il a peur. Le groom est là, n'est-ce pas ? Je vais appeler le groom. »

Et il cria pour appeler le groom. A ses cris, l'épervier s'effaroucha, rebondit en l'air et virant de l'aile disparut à nos yeux. Léon Nicolaïevitch poussa un soupir, etse repro-

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