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910 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

quelque chose d'artificiel, d'insincère, et en même temps de très personnel. On eût dit qu'il avait été blessé un jour et qu'il ne pouvait ni oublier ni pardonner. Le soir où je fis sa connaissance, il me conduisit dans son cabinet de travail — c'était à Khamovniki à Moscou — et m'ayanl fait asseoir en face de lui, il commença à me parler de deux de mes nou- velles : « VarienkaOliessova » et « Vingt-six et une ». Je fus stupéfait du ton de ses paroles, et je perdis contenance, tant son parler était cru et brutal. Il soutenait que chez une jeune fille saine, la chasteté n'est pas naturelle. « Si une jeune fille qui a atteint ses quinze ans, est vraiment saine, elle désire qu'on la caresse et qu'on l'embrasse. Son esprit encore timide devant l'inconnu, appréhende ce qu'il ne comprend pas. C'est là ce qu'ils appellent tous chasteté et pureté. Mais déjà sa chair l'avertit que ce qui est encore incompréhen- sible à son esprit est dans l'ordre des choses, est justifié par la loi de la nature, et malgré les réticences de l'esprit, la chair réclame l'accomplissement de la loi. Or vous décrivez Varienka comme une nature saine, et pourtant les sentiments que vous lui prêtez sont anémiques. Cela n'est pas conforme à la vie. »

Il se mit ensuite à parler de la jeune fille dont j'ai fait le portrait dans « Vingt-six et une ». Ce fut alors un vrai flot de mots indécents, dont il se servait avec une aisance qui me parut cynique et qui avait quelque chose d'offensant pour moi. Plus tard je compris peu à peu qu'il n'employait des expressions grossières que parce qu'il les trouvait plus exactes et plus frappantes, mais à ce moment-là, il me fut pénible de devoir les entendre de sa bouche. Je ne répondis pas, et tout à coup il devint prévenant et aimable, et com- mença à me questionner sur ma vie, sur ce que j'étudiais et sur ce que je lisais :

— On dit que vous avez beaucoup lu. Est-ce vrai ? Koro- lenko est-il un bon musicien ?

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