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884 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

XXXIV

• — Quel est le rêve le plus terrible que vous ayez jamais fait ? me demanda Tolstoï.

— Il m'arrive rarement d'avoir des rêves, et je m'en sou- viens mal ; mais j'ai fait deux rêves qui me sont restés dans la mémoire, et selon toute probabilité, ils n'en sortiront de toute ma vie. Il m'apparut une fois en rêve que le ciel était scrofuleux, en putréfaction, d'un jaune verdâtre. et les étoi- les y étaient rondes et plates, sans rayonnement, sans éclat, comme des escarres sur la peau d'un malade. A travers ce ciel en putréfaction glissait rarement un éclair rougcâtre et fourchu, qui ressemblait assez à un serpent et, quand il tou- chait une étoile, cette étoile se gonflait en boule et éclatait sans bruit, laissant derrière elle une tache noirâtre, semblable à une petite fumée ; et puis la tache disparaissait vite dans le ciel trouble et en liquéfaction. Ainsi en fut-il de toutes les étoiles. L'une après l'autre, elles éclatèrent et disparurent, et le ciel devint de plus en plus sombre, de plus en plus lugubre, jusqu'à ce que bouillonnant dans un tourbillon, il (Relata en mille morceaux, et commença à tomber sur ma tête en une sorte de gelée, et à travers les interstices on apercevait une masse noire et luisante, comme si elle était de fer. » Léon Nicolaïevitch dit : « Eh bien ! Tout ceci est tiré d'un livre savant ; vous avez dû lire quelque chose sur l'as-

.tronomie, d'oià votre cauchemar. Et l'autre rêve ? »

— L'autre rêve : une plaine couverte de neige, lisse comme une feuille de papier. Pas de colline, pas d'arbre, nulle part de buisson, seules — à peine visibles — quelques perches pointant de dessous la neige. Et sur la neige de ces déserts morts s'étendait d'horizon à horizon, le jaune ruban d'une route qu'on pouvait à peine distinguer, et sur la route déambulait lentement une paire de hautes bottes en feutre gris — vides.

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