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880 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

— Pauline, donnez-moi quelque chose.

« Quelque chose » signifiait toujours la même chose : un verre de vin rouge avec de la glace.

An rez-de-chaussée, vivaient trois jeunes femmes, les prin- cesses D. G. qui n'avaient plus de mère et dont le père s'en était allé ailleurs. La veuve du général Kornet s'était prise de haine pour les jeunes femmes et essayait de se débarrasser d'elles en leur faisant toutes sortes de misères. Elle parlait très mal le russe, mais elle jurait à la perfection comme un vrai charretier. Son attitude vis-à-vis des pauvres filles qui ne faisaient de mal à personne me déplaisait fort. Elles avaient l'air si triste, si effarouché, si timide. Une après- midi, deux d'entre elles se promenaient dans le jardin, quand soudain la femme du général apparut ; ivre comme d'habi- tude, elle commença à pousser des cris pour les chasser. Les jeunes femmes se retiraient tranquillement, mais la veuve du général se plaça en travers de la porte du jardin, la bouchant de son corps et se mit à les injurier copieusement dans des termes que n'aurait pas désavoué un vrai charretier. Je lui dis de cesser de jurer, et de laisser sortir les jeunes femmes, mais elle cria :

— Vous, je vous connais. Vous vous faufilez chez elles la nuit par la fenêtre.

Je me mis en colère, et la prenant par les épaules je la fis reculer ; mais elle échappa à mon étreinte et se campant devant moi, d'un geste brusque elle défit sa robe et souleva sa chemise, me criant de toutes ses forces :

— Je suis bien mieux que ces pimbêches.

Je perdis alors toute contenance. Je la pris par le cou et lui faisant faire demi-tour je dirigeai ma pelle vers le bas de son dos et la frappai, si bien que se glissant hors de la grille du jardin, elle se mit à traverser la cour au galop, criant tout épouvantée trois fois de suite : « Oh ! Oh ! Oh ! »

Je donnai mon congé à sa confidente Pauline — une ivre-

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