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SOUVENIRS SUR TOLSTOÏ 863

que cette obsession soit un signe de vieillesse, un pressenti- ment de la mort — non, je crois qu'elle vient de la profon- deur de son orgueil d'homme, et — un peu aussi — d'un sentiment d'humiliation : car étant Léon Tolstoï, il est humi- liant d'avoir à soumettre sa volonté à un streptocoque. S'il était un homme de science, il développerait certainement les hypothèses les plus ingénieuses, et ferait de grandes décou- vertes.

II

Il a des mains admirables — non pas belles régulièrement, — elles sont toutes nouées par le gonflement des veines — singulièrement expressives cependant, des mains de créateur. Léonard de Vinci devait avoir des mains comme celles-là. Avec de pareilles mains on peut tout faire. Parfois en parlant il remue les doigts, puis les rassemble, serrant peu à peu le poing, et de nouveau, il ouvre la main, et articule en même temps quelque parole frappante et qui a du poids. Il est comme un Dieu, non pas comme un Jéhovah de l'Ancien Testament ou une divinité de l'Olympe, mais à la manière d'un dieu russe « assis sur un trône d'érable, sous un tilleul doré », sans grande majesté peut-être, mais plus rusé que tous les autres dieux.

III

Il a pour Sulerzhizki l'affection caressante d'une femme. Son amour pour Tchekov est paternel — il y entre le senti- ment de fierté du créateur — Suler éveille en lui exactement de la tendresse, un intérêt perpétuel, et un enchantement dont le sorcier ne semble jamais se fatiguer. Peut-être même y a-t-il dans ce sentiment quelque chose du ridicule de l'amour qu'éprouve une vieille fille pour un perroquet, un carlin ou un matou. Suler est un oiseau d'une fascinante

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