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SI LE GRAIN VE MEURT... 837

des fournisseurs, et dont le seul aspect eût glacé ma curio- sité. Mais je ne pouvais me dérober ; il fallait lire ou mortifier Abel cruellement.

J'avais pu croire à des lettres d'amour ; mais non : c'étaient des lettres de sa sœur, la pâtissière de Guéret ; de pauvres lettres éplorées, lamentables, où il n'était question que de traites à payer, de termes échus, d' « arriéré » — je voyais pour la première fois ce mot sinistre — et je comprenais à des allusions, des réticen- ces, qu'Abel avait dû généreusement faire l'abandon à sa sœur d'une part qui lui serait revenue de la fortune de leurs parents ; je me souviens spécialement d'une phrase où il était dit que son geste ne suffirait pas, hélas ! à « couvrir l'arriéré »...

Abel s'était écarté de moi pour me laisser lire ; j'étais assis devant une table de bois blanc, à côté de l'armoire minuscule d'où il avait sorti les lettres ; il n'avait pas refermé l'armoire et, tout en lisant, je louchais vers celle- ci, craignant que n'en sortissent d'autres lettres ; mais l'armoire était vide. Abel se tenait près de la fenêtre ouverte ; assurément il connaissait ces pages par cœur ; je sentais qu'il suivait de loin ma lecture. Il attendait évidemment quelque parole de sympathie, et je ne savais trop que lui dire, répugnant à marquer plus d'émotion que je n'en éprouvais. Les drames d'argent sont de ceux dont un enfant sent le plus difficilement la beauté ; j'aurais juré qu'ils n'en avaient aucune, et j'avais besoin de quelque sorte de beauté pour m'émouvoir. j'eus enfin l'idée de demander à Abel s'il n'avait pas un portrait de sa sœur, ce qui m'épargnait tout mensonge et cepen- dant pouvait passer pour un témoignage d'intérêt. Avec

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