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comme l’Esthétique, la Psychologie, et les doctrines et les problèmes dont l’ensemble constitue ce qu’on peut appeler le monde de la pensée. Alors ce monde, cette vie de l’esprit, lui étaient apparus comme le suprême luxe, et elle s’était imposé la tâche d’y pénétrer, se disant qu’elle se devait à elle-même de s’orner de toutes ces parures. Mais elle avait échoué, et n’importe qui à sa place et en s’y prenant de cette façon, aurait échoué. On était seulement surpris de voir qu’ayant lu tant de livres elle en prit encore tant au sérieux. Et puis elle confondait tout, et il y avait bien des vides dans sa culture livresque. Mais cela ne l’empêchait pas de laisser voir à Marc, parfois, qu’elle le considérait un peu comme un inférieur au point de vue intellectuel. Un jour même elle était allée jusqu’à lui dire quelque chose comme ceci : « Ce sont là des idées générales, et vous et les idées générales vous êtes brouillés. Vous êtes bien \ trop subjectif... » Et Marc, agacé, n’avait pu s’empêcher de lui dire : « Edith, laissez donc vos philosophes et ne lisez que les livres qui vous amusent. » — « Oh mais c’est de l’hédonisme tout pur ! » Elle avait raison : c’était de l’hédonisme ; mais Marc se demanda si elle savait exactement le sens de cet affreux mot, et si elle ne croyait pas à l’existence d’un philosophe qui se serait appelé Hédon. Dès lors il la laissa divaguer, et citer dans une même phrase Swedenborg, Kant et Bergson, comme cela lui arrivait quelquefois. C’était même touchant : elle était devant la vie intellectuelle comme un enfant devant un piano dont il ne sait pas jouer, et qui s’émerveille lorsque, en frappant des touches au hasard, il réussit à produire un accord.