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822 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la poésie l'occupaient à présent tout entier. Mais ce soir- là ce n'est de rien de tout cela que nous parlâmes. Ce soir, Albert m'expliqua ce que c'était que la patrie.

Certes sur ce sujet il me restait beaucoup à apprendre ; car ni mon père, ni ma mère, si bons Français qu'ils fussent, ne m'avaient inculqué le sentiment très net des frontières de nos terres ni de nos esprits. Je ne jurerais pas qu'ils l'eussent eux-mêmes ; et par tempérament naturel, disposé comme l'avait été mon père à attacher moins d'importance aux faits qu'aux idées, je raisonnais là-dessus, à treize ans, comme un idéologue, comme un enfant et comme un sot. J'avais dû déclarer pendant le dîner, qu'en 70 « si j'avais été la France » je ne me serais sûrement pas défendu — ou quelque ànerie de ce genre ; et que du reste j'avais horreur de tout ce qui est militaire. C'est là ce qu'Albert avait jugé nécessaire de relever.

Il le fît sans protestations, ni grandes phrases, mais simplement en me racontant l'invasion, et tous ses sou- venirs de soldat. Il me dit égale à la mienne son horreur de la force qui provoque, mais que pour cela même il aimait celle qui défend, et que la beauté du soldat venait de ce qu'il ne se défendait pas pour lui-même, mais bien pour protéger les faibles qu'il sentait menacés. Et tandis qu'il parlait, sa voix devenait plus grave et tremblait :

— Alors tu penses qu'on peut de sang-froid laisser in- sulter ses parents, violer ses sœurs, piller son bien... ? et l'image de la guerre certainement passait devant ses yeux, que je voyais s'emplir de larmes bien que son visage fût dans l'ombre. Il était dans un f^iuteuil bas,

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