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8l8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

mais une angoisse indéfinissable et qu'il n'était pas étonnant que je ne pusse expliquer à ma mère, puis- qu'encore aujourd'hui je ne la puis expliquer davantage. Si ridicule que cela doive paraître à certains, je dirai pourtant que, plus tard, en lisant certaines pages de Schopenhauer, il me sembla tout à coup la reconnaître. Oui vraiment^ pour les comprendre, c'est le souvenir de mon premier schaadern à l'annonce de cette mort que, malgré moi et tout irrésistiblement, j'évoquai.

Le second tressaillement est plus bizarre encore : c'était quelques années plus tard, peu après la mort de mon père, c'est-à-dire que je devais avoir onze ans. La scène de nouveau se passa à table, pendant un repas du matin; mais, cette fois, ma mère et moi nous étions seuls. J'avais été en classe ce matin-là. Que s'était-il passé ? Rien peut-être... Alors pourquoi tout à coup me décom- posai-je et, me jetant entre les bras de maman, sanglotant, convulsé, sentis-je à nouveau cette angoisse inexprimable, la même exactement que lors de la mort de mon petit cousin ? On eût dit que brusquement s'ouvrait l'écluse particulière de je ne sais quelle commune mer intérieure inconnue dont le flot s'engouffrait démesurément dans mon cœur ; j'étais moins triste qu'épouvanté ; mais com- ment expliquer cela à ma mère qui ne distinguait, à travers mes sanglots, que ces confuses paroles que je répétais avec désespoir : .

— Je ne suis pas pareil aux autres ! Je ne suis pas pareil aux autres !

Deux autres souvenirs se rattachent encore à l'appar- tement de la rue de Tournon : il faut vite que je les dise

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