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800 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

visions d'un passe récent, elle ne serait pas encore revenue à la vie ?

C'est la guerre qui continue dans les âmes et les esprits. Au fond des conceptions historiques de leurs savants, il y a je ne sais quel besoin de manœuvrer les peuples, de ne compter les individus que par unités ; il y a en quelque sorte la brutalité du chiffre. Les esprits en sont encore à penser en masses et par masses. Ayant perdu le sens de ce qui est individuel et particulier, leur vue aisément embrassera les temps et les peuples. Mais c'est aussi pourquoi il est à craindre que se figurant voir les choses en grand, il leur arrive de ne les plus voir qu'en gros.

« Le bon sens consiste beaucoup à connaître les nuances des choses », nous dit Montesquieu. Or, ce bon sens se perd facilement, quand on s'habitue à ne voir tout que de loin, et en raccourci. C'est pourquoi je dirais volontiers à ces constructeurs de synthèses historiques, dont l'esprit semble être encore mal démobilisé, de réduire leurs mesures au niveau de la vie pacifique, qui rend l'individu à lui-même. Perchés sur une montagne, ils ont trouvé un bon observatoire pour voir évoluer des niasses. Mais il y a des choses qu'on ne voit bien qu'en, descendant dans la plaine, et je ne sais s'il ne faudrait leur souhaiter de rentrer peu à peu dans leurs villages, et d'y retrouver bientôt le sens des choses particu- lières, et la vie aux aspects multiples.

Mais une fois rentrés, retrouveront-ils les visions de jadis ? et, avant tout, se retrouveront-ils eux-mêmes ?

��Gœthe ne croyait pas qu'une guerre, fùt-elle mondiale, pût exercer une infîuence bienfaisante sur les esprits. Selon lui, le renouveau qu'elle produit en pensée et en poésie, par le fait d'intensifier et d'étendre les visions, garde toujours quelque chose d'artificiel, qui fausse l'intuition artistique et

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