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la nouvelle revue française

Mieux eût valu, je pense, le pieux exercice d’un jeune homme nourri de son exemple et qui ne l’aurait pas connu.

Les images d’hier m’assaillent et j’écoute plusieurs des plus belles, des plus douces. Non, pas cela… pas si tôt cela !… gardons-le encore pour nous !

Et j’écris comme on écrirait agenouillé sur une tombe, collant, pour prendre dictée, l’oreille contre la dalle glacée.

J’ai dans un coffre que je n’ose plus ouvrir le dernier poème écrit au front par René Dalize, le poème bouffon et hardi de la mort militaire ; les vers en sont recopiés de la main divine de Guillaume Apollinaire. C’est trop.

C’est pendant un entr’acte des Ballets russes, après Parade, qu’André Billy, m’attirant à l’écart, m’apprit la mort du capitaine René Dalize, tué à la ferme de Cogne-le-Vent.

Un grotesque me poursuivait, gueulant : « Alors, c’est ça, l’art français ?… Alors, vous soutenez ça ?... Alors… » L’ai-je assez injurié !…

Un dimanche, le 10 novembre 1918, quand l’immense espoir de la paix commençait de nous rendre le repos perdu, un télégramme m’apportait la nouvelle de la mort de mon ami Guillaume Apollinaire.

Naguère, dans les tranchées, je m’étais abandonné, avec beaucoup de soldats parmi les hommes les plus simples, à la représentation pathétique de celui qui serait le dernier mort de la guerre. Ce devait donc être toi, mon Guillaume !

Guillaume Apollinaire, mort dans ton lit, terrassé par la grippe espagnole dont on a dit que c’était la peste à