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6G2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

que sa vertu expressive lui assigne, plutôt que celle qui résulte de l'éloignement, et que l'absurde travail des aca- démies fixe impitoyablement. (On connaît ce cligne- ment d'œil mensurateur devant le bras étendu armé d'un crayon en guise de jauge.)

Cézanne n'a pas à fermer à demi, comme à l'Ecole, des yeux myopes de bâcleur de pochades, mais à les ouvrir tout grands, car il ouvre en même temps les portes de son esprit. On comprend facilement que les amateurs de perspective linéaire, ou projection immobile du spectacle sur notre rétine, ne voient que chaos dans ses tableaux de la dernière époque, qui s'organisent selon l'importance émotive de chaque partie. Un paysage de Cézanne n'a ni ligne d'horizon^ ni point de fuite unique ; il ne sied pas de se promener dans ce monde peint avec l'àme d'un arpenteur, mais avec un sentiment poétique frais, et le dédain des conventions usées. Ce château blanc, qui, certes, existe exactement, pour les pieds du touriste, au bout de l'allée du parc, se place réeUement, pour moi qui le vois à travers les branches des premiers arbres de l'allée, au premier plan du spectacle. De même que mes doigts, à travers lesquels je regarde un visage, n'existent plus pour le regard de mon esprit, de même ces feuilles (qui pourraient me cacher les détails archi- teaoniques) et cette distance (qui m'induirait en erreur sur les proportions du château) s'évanouissent sans laisser de trace dans mon œil. Si j'ai suivi et noté scrupuleusement le mécanisme de ma vision synchro- nique, j'obtiens sur mon tableau l'image, non des objets inanimés, mais d'objets que le contact des sens épris illumine et doue de vie humaine — c'est-à-dire céleste.

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