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652 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

domaine de la spéculation picturale : il travaille avec des matériaux vierges : rien d'étonnant à ce que le plan de l'édifice dont il pose les premières pierres ne ressemble ni de couleur ni de proportions à ceux qui furent cons- truits en d'autres temps et d'autres lieux.

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��Dans une de ces petites expositions à tendance presque uniquenient impressionniste qu'organise la librairie Crès, on pouvait voir, dernièrement, deux œuvres de Cézanne. (Je souligne le fait à titre d'exemple de ce que je constate plus haut : le peintre essentiellement anti- impressionniste patronant des manifestations dont il eût réprouvé l'esprit.) L'une de ces œuvres, datant de ses débuts, représentait une tête de femme très empâtée, traitée fougueusement h coups de couteau à palette. Le manque d'expérience du peintre s'y dissimule (selon l'habitude à laquelle nul de nous n'échappa) derrière une truculence de facture, un énervement de la main^ aboutissant à une « cuisine » violente simulant la force et la décision absentes. L'autre toile, de beaucoup pos- térieure, était le portrait de Joachim Gasquet : on peut l'affirmer ressemblant, encore que non terminé. Cézanne, à cette époque, possède son métier à fond ; les valeurs, transposées dans ce registre ardoisé si longtemps par lui adopté, sont d'une finesse, d'une rareté indépassables. Le noir nourri et profond du veston est d'une sonorité pro- digieuse. Le peintre le plus féru de lui-même ne peut que s'enthousiasmer et se désespérer devant cette mer- veille de force aérienne. Ici plus d'épaisseur : une matière

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