Page:NRF 15.djvu/586

Cette page n’a pas encore été corrigée

580 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

chevelure d'un bel or allait retenir un instant le regard de tout le monde, avant de se dérober pour jamais sous le voile.

Eliane s'arrêta :

« J'ai oublié quelque chose. »

Elle disparut dans l'appartement. C'était la dernière fois qu'elle s'y trouvait. Elle allait faire ses adieux sans doute à chaque meuble, à chaque petit coin qu'elle avait aimé. Elle ne regarda rien. Elle avait oublié de garnir la lampe. Depuis l'âge de dix ans, elle s'acquittait quoti- diennement de cette besogne. Quand on reviendrait le soir, qu'elle ne serait plus là, et qu'on parlerait d'elle, ses deux sœurs, sa mère et Monsieur Godeau, il ne fal- lait pas qu'elle eût oublié de garnir la lampe qui éclai- rerait les siens.

Comme c'était Godeau qui payait la voiture, Madame Pincengrain demanda à ce qu'on allât visiter le Louvre et le Panthéon. « Eliane jamais plus ne les verrait. » Eliane se demandait comment cette femme, sa mère, avait le courage de lever la tête pour admirer des demoi- selles peintes qui dansaient sur les murs d'un Temple autour de Godeau, — quand elle conduisait sa propre fille sous le ciseau du prêtre. Eliane voyait les plaies de Dieu qu'elle panserait toute sa vie, et rien d'autre.

Véronique et Prisca s'étonnaient douloureusement aussi des curiosités incompréhensibles de leur mère qu'elles ne pouvaient partager. Le masque de Madame Pincengrain se faisait plus dur. Elle pensait que le taxi- mètre marchait, que Godeau lui remboursait un peu ses dîners.

�� �